Quelques heures à peine après l’annonce, par la Cour de Justice européenne, de la légitimité des rabais sur les médicaments prescriptibles vendus par correspondance, deux des principales pharmacies virtuelles opérant en Allemagne depuis les Pays-Bas, Doc Morris et Europa Apotheek Venlo, lançaient déjà des campagnes de publicité racoleuses pour attirer les clients vers leurs sites.
C’est ainsi que Doc Morris offre dorénavant « des ristournes de 2 à 12 euros par ordonnance », tandis qu’Europa Apotheek Venlo va jusqu'à proposer aux patients dispensés de tickets modérateurs de leur verser directement sur leur compte le montant de ces derniers, soit de 5 à 10 euros par boîte, à titre de bonus. La presse et les journaux allemands commentent abondamment l’arrêt de Luxembourg, et pas vraiment dans le sens des pharmaciens : « Allons-nous enfin payer nos médicaments moins chers ? » se demande en première page le quotidien à grand tirage « Bild », tandis que « die Welt », journal dit « de référence », publie sur une page le « A » rouge des pharmaciens (Apotheke) avec le sous-titre « A comme Auslaufsmodell », c’est-à-dire « A comme modèle dépassé »… Et d’autres journaux se prennent à imaginer la pharmacie de demain comme une sorte de gigantesque Amazon du médicament, au fonctionnement entièrement assuré par des téléconseillers…
Les pharmaciens sous le choc
Du côté des pharmaciens, la nouvelle, bien que prévisible depuis les attendus de la Cour en juin dernier, s’apparente à un véritable séisme. Friedemann Schmidt, le président de l’ABDA, qui réunit l’ensemble des structures de la profession, parle d’un jour noir pour la protection de santé, et rappelle qu’il y a une semaine tout juste, lors du congrès des pharmaciens (voir notre précédente édition), le ministre de la Santé Hermann Grohe avait promis qu’il « soutiendrait les pharmaciens » dans le cas d’un tel jugement. Il ne dispose pour cela que d’un seul levier : interdire l’ensemble des ventes par correspondance de médicaments prescriptibles. Mais n’a pas encore réagi officiellement à l’arrêt de Luxembourg. Le parti social-démocrate (SPD) dénonce, lui, l’arrêt comme un mauvais coup pour la santé publique. De même, les responsables de l’industrie pharmaceutique déplorent eux aussi la décision des juges européens.
Les forums en ligne des principaux journaux de pharmaciens, pour leur part, croulent sous les réactions et commentaires indignés, furieux ou désabusés de pharmaciens, tous sous le choc de la nouvelle. L’un d’entre eux, avec ironie, a même conçu une affichette qu’il incite ses confrères à mettre dans leurs vitrines : « Commandez tranquillement vos antibiotiques sur Internet… mais faites 50 km de route si vous en avez besoin rapidement ».
Au-delà de ses conséquences immédiates pour la pharmacie allemande, cette décision marque un tournant inquiétant dans la jurisprudence européenne : depuis plusieurs années, et notamment lors du fameux arrêt de mai 2009 sur la structure du capital des pharmacies, qui avait conforté le modèle officinal traditionnel, les arguments de sécurité de la délivrance et de santé publique avaient toujours primé sur les considérations purement économiques et financières. L’arrêt du 19 octobre marque un changement radical car, que l’on soit d’accord ou non avec lui, il est clair qu’il ne contribue pas à renforcer la sécurité et la qualité de la délivrance, et donne la priorité au commerce pur et dur. Ce précédent annonce-t-il de nouveaux cataclysmes ? Certains observateurs en sont déjà persuadés et redoutent de voir l’épineuse question du capital refaire surface dans l’agenda de la justice européenne, dût-elle pour cela se draper de nouveaux argumentaires… En outre, cet arrêt enfonce un coin dans le principe du prix unique du médicament : il ne faut pas être grand clerc pour imaginer que les partisans d’une libéralisation à tous crins du marché pharmaceutique l’utiliseront comme point d’appui pour tenter d’aller encore plus loin dans les mois ou les années à venir.
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