LES PROJECTIONS réalisées par le cabinet IMS Health pour le marché mondial du médicament en 2012-2016 augurent une croissance comprise entre 3 et 6 %. Une situation favorable au regard d’autres marchés industriels, mais très contrastée sur le plan géographique. Ainsi, les pays dits matures, tels que les États-Unis, le Japon ou ceux d’Europe de l’ouest devraient connaître une croissance très faible, voire une régression, comme c’est actuellement le cas pour la France. Ce sont les pays émergents ou les « Pharmergents » (Chine, Brésil, Inde, pays de l’Amérique du sud et de l’Europe de l’est) qui tirent la croissance vers le haut, avec des progressions comprises entre 12 et 15 %. Comment explique-t-on le bond en avant des Pharmergents ? Par un « fort mouvement de solvabilisation médicale des populations, et par la mise en place d’assurances collectives », explique Dana Morlet-Vigier, d’IMS France. Et de citer « l’exploit extraordinaire de la Chine qui a solvabilisé un milliard de personnes, l’évolution à marche forcée de pays comme l’Algérie, ou le fort mouvement du Brésil dans le même sens ».
Pour autant, la naissance de ces systèmes de santé collectifs n’en fait pas des pays qui vont suivre la même route que les pays matures. Si les grands pays européens consacrent 9 à 10 % de leur PIB1 aux dépenses de santé, et les États-Unis un minimum de 15 %, les Pharmergents en sont actuellement à 3 ou 4 % de leur PIB. Leurs populations doivent le plus souvent mettre la main à la poche et sont très sensibles aux coûts des soins, quand les patients européens le sont bien peu puisqu’ils financent moins de 20 % de leurs dépenses de santé.
Favorable au patient.
« Il est particulièrement intéressant d’observer la mise en place de systèmes collectifs pour les patients chinois ou indiens quand les pays qui possèdent depuis
des systèmes de santé collectifs cherchent à se décharger de certains coûts, parce que la crise est passée par là et que les poches collectives sont vides », ajoute Dana Morlet-Vigier. C’est ce qu’IMS appelle pour les pays matures « une régression vers la moyenne au niveau monde » ou une « convergence des systèmes de santé dans le monde ». Il faut néanmoins remarquer qu’il existe des systèmes différents d’un pays mature à un autre. En Europe, par exemple, le modèle français (auquel se rattachent l’Espagne ou l’Italie) a pour principe fondateur : « Si quelqu’un a besoin d’un soin, il doit lui être accordé quel que soit son prix. » Tandis que le système anglo-saxon et scandinave part du principe que chaque assuré doit recevoir une quantité à peu près égale du pot commun.
« Ces deux modèles fonctionnent différemment, y compris en termes d’évaluation des médicaments. Quand la France évalue d’abord la valeur intrinsèque du médicament, puis discute de son prix, le Royaume-Uni propose une évaluation intégrée. Au final, le système français est très favorable au patient, y compris en termes d’innovations coûteuses, alors que le système anglo-saxon a dû s’adapter au décrochage de son offre de soins. En oncologie, par exemple, puisque les Anglais n’avaient tout simplement plus accès aux nouvelles molécules », décrit Dana Morlet-Vigier.
Éviter les gaspillages.
La France s’est surtout démarquée par l’introduction de la notion de médicoéconomie. « Cela veut dire : éviter les gaspillages », traduit l’économiste de la santé Claude Le Pen, qui n’hésite pas à donner un exemple concret. « Prenons un anticancéreux qui améliore la médiane de survie de 4 semaines ; on ne dira pas qu’il est trop cher pour être pris en charge, mais que le gain est trop modeste, il ne change pas la vie du patient. Le choix est de mettre de l’argent dans les traitements qui apportent un bénéfice réel au patient. »
C’est aussi dans ce sens que se développent désormais les réévaluations tout au long de la vie d’un médicament. Les laboratoires ne peuvent plus tout miser sur les essais cliniques jusqu’à l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché. Il faut donc générer des données en vie réelle sur les patients. « En Italie, l’AIFA2, qui est l’équivalent de la HAS3 et de l’ANSM4 réunies, coordonne, finance et assure l’interprétation des données collectées en vie réelle afin de faire un suivi. La Suède a un système très performant de bases de données sur les patients, qui sont ouvertes à tous et reliées entre elles. Elle peut exiger d’un industriel, à tout moment, de démontrer la prise en charge réelle des patients traités par tel médicament », remarque Dana Morlet-Vigier.
Dans le même sens, les structures de health technology sont devenues des régulateurs économiques forts dans tous les pays. Au Royaume-Uni, le NICE5 a pris des mesures restrictives sur 60 % des médicaments réexaminés. En Allemagne l’IQWIG6 n’a trouvé aucun bénéfice sur 73 % des produits examinés. En France la HAS a refusé le remboursement de 25 % des références passées au crible, et, parmi celles qui ont été validées, 80 % ont reçu un ASMR V7. « La régulation est forte sur la nécessité de prouver en vie réelle la valeur du médicament, si l’industriel veut garder son prix et son remboursement. Cette pression s’exerce sur tous les acteurs de la chaîne du médicament », indique Robert Chu, président d’IMS France.
Situation inédite.
Ces évolutions importantes ces dernières années ont exigé une adaptation rapide, le secteur de l’industrie pharmaceutique ayant, pour la première fois, subi les effets d’une crise. « Une situation inédite car, jusqu’alors, les turbulences économiques n’ont jamais affecté le secteur de la santé et, en période de crise, les valeurs boursières de l’industrie pharmaceutique ont toujours été considérées comme des valeurs refuges. Jusqu’en 2008. La crise privée est devenue publique, le financement public du secteur est donc devenu un élément de fragilisation », précise Claude Le Pen. La mutation de l’industrie pharmaceutique a ainsi subi un coup d’accélérateur, elle n’est pas terminée pour autant. « La révolution générique va se terminer avec l’absence de molécule significative tombant dans le domaine public, l’économie du générique va plafonner et les gains futurs ne se feront plus sur la pénétration mais sur le prix, ce qui va entraîner une forte restructuration », assure l’économiste de la santé.
Au final, la vision économique européenne contraste étrangement avec la vision mondiale puisque de plus en plus de personnes ont accès au médicament, et la tendance va se poursuivre dans le futur. Pour autant, les systèmes de santé doivent faire des choix de financement et demander davantage aux patients de mettre la main à la poche. « Pour la France, commente Claude Le Pen, on peut anticiper sur un financement public à 100 % concentré sur les maladies les plus lourdes et les plus graves. C’est déjà la tendance, avec 9 millions de personnes en ALD 8, qui dépensent en moyenne sept fois plus que les autres. »
1 Produit intérieur brut.
2 Agenzia italiana de farmaco.
3 Haute Autorité de santé.
4 Agence nationale de sécurité des médicaments et produits de santé.
5 National institute for health and clinical excellence.
6 Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen.
7 Amélioration du service médical rendu. Le niveau V équivaut à une absence d’amélioration.
8 Affection de longue durée.
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