Sans surprise et sans équivoque. L’étude épidémiologique, EPI-PHARE, menée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’assurance-maladie* depuis mars dernier, porte sur 725 millions d’ordonnances. Cette analyse compare la délivrance des médicaments remboursés de 58 classes thérapeutiques, aux dispensations réalisées en 2018 et 2019. Résultat, les données issues des huit semaines de confinement et d’une semaine post-confinement dévoilent une consommation « profondément modifiée ».
Premier enseignement : une très forte baisse des initiations de traitement durant cette période. Un recul de 39 % pour les antihypertenseurs signifie que 105 000 personnes qui auraient dû démarrer ce type de traitement ne l’ont pas fait. Le recul est encore plus fort pour les antidiabétiques (-48,5 %, soit 37 500 diabétiques potentiels non traités) et concerne aussi l’insuline, avec une baisse de 33 %, soit « environ 10 000 diabétiques dont le traitement par hypoglycémiants oraux n’a pas été renforcé ou remplacé par de l’insuline », note l’ANSM. De même, la baisse d’instauration des statines atteint 49 %, soit 70 000 personnes non traitées et 50 % pour les anticoagulants oraux (138 000 personnes non traitées). A contrario, au sortir de la crise les auteurs de l’étude remarquent une augmentation de la délivrance des médicaments pour les patients déjà traités pour diabète ou maladie cardiovasculaire. Après un effet de stockage les premiers jours du confinement, puis une baisse marquée de la délivrance les semaines suivantes, une timide reprise est notée à la mi-avril, à laquelle succède un retour progressif à la normale. Au final, soulignent les chercheurs, la hausse est « marquée pour les médicaments cardiovasculaires, notamment les antihypertenseurs (+600 000), les antidiabétiques (+135 000) mais aussi les produits à base de lévothyroxine (+140 000), les anxiolytiques (+290 000) et les hypnotiques (+100 000) ».
Troubles du sommeil et anxiété
C’est le deuxième enseignement de cette étude. Elle confirme en effet « les conséquences sociales, professionnelles et économiques » du confinement sur les Français. Les auteurs constatent l’augmentation de la délivrance d’anxiolytiques et d’hypnotiques les trois dernières semaines du confinement et la première semaine post-confinement, tout en précisant que « les antidépresseurs n’étaient pas concernés par cette hausse ». Comme pour la plupart des traitements chroniques, ces classes ont connu un pic de délivrance à la veille du confinement. Quant aux initiations de traitement, elles sont aussi en très net recul sur la période : -43 % pour les antidépresseurs, -14 % pour les anxiolytiques, -14 % pour les hypnotiques. Les chercheurs soulignent par ailleurs une baisse des recours aux médicaments de l’alcoolodépendance ou du sevrage tabagique, alors que des enquêtes ont mis en évidence une augmentation de la consommation d’alcool et de tabac pour certaines franges de la population pendant le confinement.
L’étude EPI-PHARE pointe l’effondrement d’autres classes thérapeutiques. C’est le cas des antibiotiques systémiques qui ont chuté de 30 à 40 % pendant le confinement, en particulier chez les enfants (75 % en semaine 16 chez les moins de 20 ans). Explication : « La fermeture des structures collectives de garde et d’enseignement a probablement conduit à réduire drastiquement la transmission des agents infectieux habituels. Toutefois la difficulté d’accès aux pédiatres et médecins généralistes a aussi pu contribuer partiellement à cette baisse de l’antibiothérapie. » Ce sont ainsi 2 millions de personnes qui n’ont pas reçu ces traitements en comparaison avec les chiffres 2018 et 2019 sur la même période, soit un recul jamais observé en France. En revanche, les équipes ne s’expliquent pas la baisse notable de la délivrance d’antituberculeux et l’estiment potentiellement inquiétante « si elle correspondait à l’arrêt de traitements en cours ».
La surveillance se poursuit
Certaines catégories de produits sont en très forte régression, telles que les corticoïdes oraux (-64 %), les AINS (-70 %) et, dans une moindre mesure, les IPP et les antalgiques de niveau 2. Le marché des AINS est tiré vers le bas par le quasi-arrêt de l’utilisation de l’ibuprofène (-80 % en semaine 14, 15 et 16), non recommandé dans cette période de Covid-19. Un effondrement « durable » puisque la première semaine de post-confinement n’a pas marqué de reprise pour ces classes de médicaments.
Quant aux médicaments impliqués dans le traitement du Covid-19, l’étude EPI-PHARE rappelle la très forte hausse de la délivrance de paracétamol entre février et le 16 mars. Une consommation qui finira par se normaliser fin mars et se stabiliser à un niveau plus bas que les années précédentes, conséquence du surstockage des semaines précédentes ? Chloroquine et hydroxychloroquine sont aussi revenues à des niveaux habituels de consommation, après des pics marqués en Ile-de-France et en région PACA respectivement les 27 février et 18 mars. L’association avec l’azithromycine a également connu un pic en semaine 13 (+ 7 000 %), entraînant un surplus de 10 000 patients sous ce traitement.
Au total, cette étude constate que le stockage réalisé en début de confinement et l’autorisation pour le pharmacien de renouveler les traitements chroniques sur une ordonnance périmée ont eu un effet régulateur. Ils ont certainement permis à la majorité des patients chroniques d’accéder aux médicaments dont ils avaient besoin. Néanmoins, deux signaux d'alerte restent encore allumés : le recul des initiations de traitement et l’augmentation des délivrances d’hypnotiques et d’anxiolytiques en fin de confinement. La surveillance d’EPI-PHARE se poursuivra « jusqu’au retour à une situation normalisée ».
* L’étude a porté sur 725 millions d’ordonnances, soit 1,9 milliard de lignes de prescriptions et a concerné 51,6 millions de personnes du régime général suivies durant 60 semaines de remboursement (les 20 premières de chaque année 2018, 2019 et 2020). Elle s'appuie sur les données de remboursement du Système national des données de santé (SNDS).
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