LA PERSPECTIVE d’autoriser la vente de certains médicaments sur Internet provoque des remous. La semaine dernière, le ministère de la Santé avait convié les syndicats d’officinaux, l’Ordre des pharmaciens, le LEEM (Les entreprises du médicament), la DGCCRF* et L’AFSSAPS** pour réfléchir à l’encadrement de la vente par des officines de médicaments sur Internet. Pour les pouvoirs publics, il s’agit de mettre la législation française en accord avec une jurisprudence européenne, le fameux arrêt Doc Morris de 2003 qui autorise la vente de spécialités sans ordonnance sur la toile, comme en Allemagne (voir ci-dessous). Aujourd’hui, la France se trouve dans une sorte de flou juridique et le ministère souhaiterait y mettre fin en instaurant « des règles pour sécuriser la vente de médicaments sur Internet ».
Les discussions viennent à peine de commencer et la prochaine réunion du groupe de travail est prévue pour le mois de juin. Rien n’est donc encore décidé, mais la piste avancée par le ministère de la Santé fait déjà grincer des dents les syndicats d’officinaux.
Risque accru de contrefaçon.
Même si les pouvoirs publics assurent que les sites autorisés à vendre des médicaments sans ordonnance devront être obligatoirement adossés à une pharmacie, les représentants syndicaux restent, en effet, très réservés quant au bien fondé de la mesure. « Le face à face client lors de la dispensation est essentielle pour nous », insiste Philippe Besset, président de la commission Économie de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Les Français n’ont pas besoin d’Internet pour avoir accès à des médicaments, ils disposent de pharmacies de proximité partout sur le territoire », renchérit Gilles Bonnefond, président délégué de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). D’autant que, pour lui, cette disposition expose au développement de la contrefaçon. En effet, il craint que certains en profitent pour créer de faux sites de pharmacies. Les risques seront d’autant plus élevés que les patients s’y rendront les yeux fermés, sûrs d’y trouver de « vraies » spécialités. Gilles Bonnefond estime également qu’autoriser le commerce de médicaments en ligne pousserait à la consommation. « Les spécialités de prescription médicale facultative non remboursables coûtent, en moyenne, trois euros, souligne-t-il. La tentation sera donc grande d’en commander un nombre important pour amortir les frais de transport qui sont eux supérieurs au prix d’une boîte ». « Cette mesure ne servira à rien », ajoute Philippe Besset. Car, explique-t-il, lorsqu’un malade a besoin d’un traitement pour soigner un rhume ou une tourista, il ne va pas cliquer sur Internet et attendre d’être livré 48 heures plus tard.
L’Union des pharmaciens de la région parisienne (UPRP) monte également au créneau. Pour son président, Patrick Zeitoun, la vente de médicaments sur Internet nie le rôle prépondérant du conseil pharmaceutique, ouvre la voie aux fraudes et aux contrefaçons, et annule tout l’intérêt du dossier pharmaceutique. Selon lui, elle crée aussi une nouvelle notion, « celle de l’automédication préventive, puisque, compte tenu des délais de livraison, l’internaute patient devra commander par avance des médicaments dont il aura éventuellement besoin. »
Des règles difficiles à instaurer.
Claude Japhet, président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), pointe pour sa part des incohérences avec la législation actuelle. « Une spécialité de médication officinale doit obligatoirement être placée à proximité du comptoir et du pharmacien, alors que le même médicament vendu sur Internet échapperait à cette règle », argumente-t-il. La loi prévoit également un délai de rétractation pour les produits achetés par correspondance, ce qui semble difficile à mettre en place pour les médicaments. Sans parler du soupçon possible de sollicitation de clientèle. Au total, Claude Japhet estime que la vente de médicaments à distance dérogerait à la fois aux règles des codes de la santé, du commerce et de déontologie. Mais rien n’est encore définitif et le président de l’UNPF indique que l’on peut aussi s’orienter vers un dispositif prévoyant la commande à partir d’un site Internet et le retrait du produit dans une pharmacie.
Quoi qu’il en soit, l’affaire a également pris une tournure politique. Catherine Lemorton, pharmacienne à Toulouse et députée de Haute-Garonne, indique ainsi, dans un communiqué, que « en envisageant de légaliser la vente sur Internet de certains médicaments non soumis à ordonnance, la ministre de la Santé tente, une nouvelle fois, de briser le cadre qui permet aux Français d’avoir accès à des médicaments de qualité accompagné d’un conseil ». « Invoquant une pseudo-harmonisation européenne, elle cherche surtout à permettre à terme aux grandes enseignes d’hypermarchés ou autres grands groupes économiques qui soutiennent le gouvernement de bénéficier d’un nouveau marché potentiellement porteur », ajoute la parlementaire socialiste.
On le voit, le sujet est sensible. Après avoir autorisé la mise devant le comptoir de la médication officinale, Roselyne Bachelot tente-t-elle de franchir une nouvelle étape en envisageant leur commercialisation sur Internet ? Certains le pensent.
** Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
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