Auditionnées hier par la commission d'enquête du Sénat dans le cadre des travaux sur la pénurie de médicaments, les organisations syndicales de médecins ont dénoncé les effets concrets des ruptures d'approvisionnement sur leurs prescriptions et, de manière plus large, sur la qualité de la prise en charge des patients.
Les organisations syndicales de médecins ont exposé aux parlementaires les effets directs sur la population des pénuries, 3 000 molécules ayant manqué à l'appel cet hiver, selon l'Agence de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Le système D est à l'œuvre, tant du côté des médecins qui se disent obligés de switcher leur prescription en fonction des disponibilités, que des patients. Ainsi, Benoît Coulon, membre du conseil d’administration du collectif Médecins pour demain, rapporte à la commission d’enquête le cas de patients dont les familles ont rapporté « des antibiotiques du Maroc ou d’Israël ». Plus grave encore, Benoît Coulon dénonce le report de chimiothérapies à l’hôpital Saint-Louis à Paris, faute de produits.
Cet « à peu près », Frédéric Carvalheiro, directeur général de MG France, le dénonce aussi dans cette adaptation constante des prescriptions aux ruptures « jusqu’à ce que les indications deviennent de moins en moins pertinentes, avec un risque élevé d’effets secondaires ». Sans compter d'autres risques de pharmacovigilance et les conséquences sur l'observance. « On doit trouver un médicament qui ressemble, qui n’a pas toujours la même fonction, pas toujours les mêmes effets secondaires et qui peut poser un problème au patient parce qu’il n’a pas la même apparence et pas nécessairement les mêmes conditions d’utilisation », confirme le Dr Bruno Perrouty, neurologue et président des Spécialistes – CSMF. « Je pense aux patients épileptiques ou parkinsoniens, pour lesquels on doit bricoler. Pour la maladie de Parkinson, il existe trois médicaments, mais qui ne sont pas absorbés de la même manière. Les patients peuvent faire des complications selon le produit. »
Au-delà de ces constats, les médecins déplorent l’absence d’information sur les ruptures. Le Dr Perrouty suggère d’affiner les logiciels d’aide à la prescription (LAP) « pour bloquer la prescription en cas de rupture ». Selon lui, ce système éviterait au praticien de prescrire une molécule en ignorant qu'elle n'est pas disponible. Ce phénomène, dont les pharmaciens font les frais au quotidien, est en effet un paradoxe, alors que le temps médical est de plus en plus compté. D'autant que le pharmacien n'a pas toujours les moyens de proposer un équivalent. « On arrive parfois à des choses catastrophiques, c’est une perte de chance pour le patient et un temps perdu de consultation médicale », dénonce Corinne Le Sauder, généraliste et présidente de la Fédération des médecins de France (FMF).
Autre effet délétère des pénuries soulevé lors de cette audition : les stocks constitués par les patients redoutant les pénuries et qui conduisent, in fine, à un gaspillage. « Il y a environ 50 % des médicaments prescrits qui ne sont pas consommés, ce qui coûte très cher », affirme le Dr Perrouty. Au détour de l'audition, la dispensation à l'unité refait surface et, avec elle, un autre serpent de mer à la rubrique « économies », la surconsommation d'antibiotiques. Autre piste évoquée pour tenter d'atténuer les conséquences des ruptures, une approche plus systématique de la polymédication des personnes âgées, phénomène qui devrait s'accélérer puisqu'en 2060 un Français sur trois aura plus de 60 ans.
En fin d'audition, deux sénatrices, Laurence Muller-Bronn et Émilienne Poumirol, ont mis en garde contre la tentation de faire peser la responsabilité des pénuries sur les patients et leurs médecins. D'accord sur la nécessité de la prévention contre la surconsommation, elles estiment qu'il s'agit cependant d'une cause secondaire. Selon les parlementaires, le phénomène des ruptures a une racine systémique, dont l'origine se trouve essentiellement dans la délocalisation des chaînes de production.
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