LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. - Le mouvement de grève des médecins de décembre dernier a donné une nouvelle impulsion au marché de l’automédication. Considérez-vous ce sursaut comme symptomatique ?
PASCAL BROSSARD. - Cela valide ce que l’AFIPA a toujours affirmé : le pharmacien est la première entrée dans le parcours de soins pour les pathologies bénignes. Cette démarche allégerait les médecins généralistes et les urgences. L’automédication permet de remettre chacun dans son métier.
ALAIN GUILLEMINOT. - Nous le voyons également en ce début d’année avec la grippe, le premier recours tel qu’il est prévu par la loi HPST (Hôpital Patients Santé et Territoires), prend tout son sens. Le pharmacien est là pour identifier et pour conseiller. L’idéal est qu’il connaisse l’historique du patient alimenté par le DP (dossier pharmaceutique).
Ce récent succès de l’automédication prouve-t-il que notre pays est mûr pour accepter un plus grand nombre de délistages ?
PASCAL BROSSARD. - C’est l’une de nos principales revendications. La France a un retard considérable sur ses voisins européens en matière d’accès aux médicaments sans ordonnance. Soixante principes actifs qui sont disponibles en automédication dans les autres pays européens ne le sont pas en France.
ALAIN GUILLEMINOT. - L’UTIP réclame cependant que cette démarche soit inscrite dans un protocole de dispensation mis en place par les pharmaciens et les industriels, comme cela existe déjà à titre expérimental. Ces aides à la dispensation, que ce soit sous forme d’arbres décisionnels, d’algorithmes ou encore de simples questionnaires, sont essentielles, car notre responsabilité de professionnel de santé est en jeu. PASCAL BROSSARD. - Nous avons déjà revendiqué la mise en place de tels arbres décisionnels au sein du groupe de travail du conseil stratégique de filière. Trois ou quatre questions permettent d’orienter le patient, sachant que le médicament n’est pas toujours la seule réponse à apporter. C’est là que l’industrie va au-delà de sa simple mission et en appelle à d’autres instances de décision, la HAS (Haute Autorité de santé), les sociétés savantes et l’UTIP pour protocoliser les démarches de conseil.
Quels sont encore les obstacles qui s’opposent à un élargissement de l’automédication ?
PASCAL BROSSARD. - Médecins et pharmaciens semblent d’accord sur le principe. Mais il manque de toute évidence une volonté politique au niveau du ministère de la Santé qui se refuse à élargir l’automédication. Cette attitude est d’autant plus incompréhensible qu’un délistage des PMO (Médicaments à prescription obligatoire) français, qui sont PMF (Médicaments à prescription facultative) dans d’autres pays européens, permettrait, avec un déremboursement, une économie de 500 millions d’euros à l’assurance-maladie.
ALAIN GUILLEMINOT. - Un corollaire au délistage serait toutefois de réaffirmer la volonté politique de s’adosser au pharmacien pour un premier tri dans les pathologies. En tant qu’organisme de formation, l’UTIP est prêt à accompagner cette évolution en donnant des outils performants aux pharmaciens.
Reste que l’automédication conserve une place marginale. Quinze pour cent du marché du médicament contre 26 % en Europe.
PASCAL BROSSARD. - Si les compléments alimentaires et les dispositifs médicaux sont en croissance de 6,4 %, les PMF, qui représentent pourtant plus de 60 % du selfcare, sont en stagnation. Pourtant la part de l’automédication dans le marché global du médicament pourrait passer de 15 à 25 % d’ici à dix ans si elle était favorisée pour les pathologies bénignes.
Deux-tiers des Français étant prêts à acheter leurs médicaments sans ordonnance en parapharmacie(1), n’y a-t-il pas un risque de voir l’automédication s’élargir dans une perspective de dérégulation du marché ?
PASCAL BROSSARD. - L’AFIPA demande un élargissement de l’automédication à la seule condition que ce marché soit réservé au pharmacien, avec un suivi de la pharmacovigilance. Et une inscription au DP.
ALAIN GUILLEMINOT. - Ces produits doivent effectivement être inscrits au DP, un suivi s’impose pour éviter le mésusage, et d’ailleurs nous appelons de nos vœux que le DP soit accessible au médecin traitant. Paradoxalement, nous sommes les seuls professionnels de santé à avoir une vision d’ensemble des prescriptions du patient.
Justement, en février dernier le G5(2) et l’USPO ont préconisé la mise en place de parcours de soin pour trois pathologies (gastro, dermato et sphère ORL). N’est ce pas une première avancée ?
ALAIN GUILLEMINOT. - Nous demandons en effet la possibilité de délivrer des médicaments sur des domaines pathologiques comme la dermato, les antinauséeux, l’infectiologie urinaire, les syndromes gastro. Cela permettrait d’alléger le parcours de soins du patient. De telles prises en charge doivent toutefois se faire dans un cadre précis. L’UTIP joue un rôle majeur dans la transmission de l’information en invitant l’industrie pharmaceutique à des soirées d’information, en dehors de tout discours d’aspect marketing et commercial.
Reste un frein à l’automédication. Le remboursement qui est centré sur le produit et non sur la pathologie.
PASCAL BROSSARD. - C’est bien là le problème de la France qui est le seul pays à déterminer la prise en charge en fonction du produit. Les autorités devraient définir les pathologies prises en charge ou pas par la collectivité. Mais cela nécessite un changement de paradigme.
Qu’est-ce qu’un élargissement de l’automédication supposerait pour les industriels ?
ALAIN GUILLEMINOT. - Nous réclamons d’eux des médicaments OTC et PMF qui soient efficaces.
PASCAL BROSSARD. - Nous avons des progrès à faire en terme de galénique et de packaging si nous voulons changer le comportement des patients et les inciter à se rendre à la pharmacie en premier recours.
Et pour les pharmaciens ?
ALAIN GUILLEMINOT. - Si l’on passe de deux minutes à dix minutes pour la dispensation, la question de la rémunération se pose bien évidemment pour valoriser ce temps passé.
Le panier moyen de l’automédication - 30 euros dépensés chaque année par Français - reste toutefois minime. L’introduction de la complémentaire santé obligatoire dans le cadre de l’ANI(3) laisse-t-elle envisager une arrivée massive des complémentaires santé sur le terrain de l’automédication ?
ALAIN GUILLEMINOT. - La prise en charge de l’automédication peut être en effet aussi du fait des complémentaires, notamment quand les frais pèsent trop sur les budgets des familles. Pour autant, le sujet n’est pas tant lié à la prise en charge, car si les patients vont chercher l’expertise et le conseil du pharmacien, c’est qu’ils souhaitent raccourcir le parcours de soins et sont prêts ainsi à prendre en charge eux-mêmes leur traitement.
PASCAL BROSSARD. - Nous sommes sceptiques quant au rôle des complémentaires. Car même en élargissant l’automédication la dépense serait au maximum de 50 euros par an. Nous estimons que les patients doivent être responsabilisés. Une prise en charge de l’automédication par les complémentaires reviendrait à créer une deuxième Sécurité sociale. Par ailleurs, on pourrait craindre une main mise des complémentaires sur ce marché, avec des listes de produits pris en charge, des paniers de soins ou encore une sélection de pharmacies.
Si la généralisation de la complémentaire santé n’est pas susceptible, selon vous, de faire évoluer l’automédication, quelles sont donc vos échéances ?
PASCAL BROSSARD. - 2017. J’en espère le déblocage idéologique que nous connaissons actuellement en matière de santé. Je compte sur la prochaine campagne des présidentielles pour que des candidats développent l’automédication comme cela est le cas à l’étranger.
ALAIN GUILLEMINOT. - Pour l’UTIP, la loi de Santé concrétise l’espoir de voir la profession prendre toute sa place dans les soins de premiers recours. L’autorisation de la vaccination en officine peut débloquer de nombreuses attitudes vis-à-vis des pharmaciens. Leur confier cette responsabilité, c’est leur donner une confiance supplémentaire dans le parcours de soins. Y compris pour l’automédication.
** Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable.
1) Enquête Ipsos octobre 2014.
2) G5 santé : cercle de réflexion, rassemblant les principales entreprises françaises du secteur pharmaceutique : BioMérieux, Guerbet, IPSEN, LFB, Pierre Fabre, Sanofi, Servier, Stallergènes et Théa.
3) L’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 généralise la couverture complémentaire santé à tous les salariés à compter du 1er janvier 2016.
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