Le Quotidien du pharmacien. — Pouvez-vous nous rappeler dans quelles conditions le clofoctol a été exhumé d'une chimiothèque et a retenu l’attention des chercheurs ?
Pr Benoît Deprez.- En février 2020, nous avons lancé une task force multidisciplinaire qui s'appuyait sur la richesse des ressources du campus de l'Institut, et parmi elles sur l'expertise d'une start-up de biotechnologie, Apteus, spécialisée dans le repositionnement des molécules anciennes. Le repositionnement est une stratégie de recherche qui vise à traiter des maladies rares pour lesquelles les gros budgets de recherche sont inenvisageables. On teste alors des milliers de molécules déjà commercialisées sur des cellules de patients. C'est ce qui a été fait pour le Covid. Même si en l'occurrence, c'était moins une question de moyen que de rapidité. Nous avons d'abord mis au point une méthode de mesure automatisée de la réplication du virus. Puis, après avoir infecté des cellules de mammifères avec le SARS CoV-2, nous avons observé les effets sur la réplication virale de 5 000 principes actifs dotés d'une AMM et de leurs métabolites. Très vite, nous nous sommes rendu compte qu'une seule molécule, le clofoctol, pouvait prétendre à un développement clinique car elle exerçait son activité antivirale à une concentration facilement atteinte avec une posologie usuelle.
Pourquoi avoir fait tant de mystère autour du nom de la molécule ?
Le nom du produit testé n'est aujourd'hui plus confidentiel, même si nous limitons son usage dans notre communication. Mais il l'a été au début du projet pour au moins deux raisons : d'abord parce que le laboratoire italien qui le produit nous a demandé la discrétion afin d'éviter le développement de prescription hors AMM avant même la démonstration d'un éventuel effet clinique. Mais aussi pour maintenir secrète, autant que possible, notre découverte et pouvoir la publier en tant que chercheurs. Nous ne voulions surtout pas reproduire les mésaventures survenues avec l'hydroxychloroquine (HCQ).
Le projet Therapide a reçu, avec un peu de retard, le label « Priorité nationale de recherche ». Cela change quoi concrètement pour la poursuite des travaux ?
Ce label est accordé aux recherches à haut potentiel au niveau national dans le contexte Covid. Il assure à son détenteur un examen accéléré de son dossier à la fois par le CPP (Comité de protection des personnes) et l'ANSM. C'est ce qu'on appelle le fast track. Le CPP doit répondre en 7 jours, l'ANSM, en 20 jours. Cette procédure est un très gros avantage accordé à un essai clinique. Ce qui a été long, en ce qui concerne le projet Therapide, cela a été d'obtenir ce label « Priorité nationale de recherche ». Le conseil scientifique qui l'accorde a requis de nous plusieurs changements de protocoles, d'où le petit retard pris.
Que manque-t-il encore à votre dossier pour que débute véritablement l'essai clinique ?
Nous avons déjà l'avis favorable du CPP, l'avis de l'ANSM, véritable feu vert pour l'essai, pourrait arriver aujourd’hui même.
Sans bien sûr préjuger des résultats à venir, quelles sont les qualités du clofoctol – ancien Octofène bien connu des pharmaciens français - qui laissent espérer une efficacité sur le SARS-CoV2 in vivo ?
Ce que l'on peut dire, c'est que le produit a un mode d'action antiviral qui le distingue de ceux de la chloroquine, de l'HCQ ou du remdesivir. Le clofoctol ne limite pas l'entrée du virus dans la cellule, comme le font la chloroquine et l'HCQ, mais inhibe son cycle de réplication. Son mode d'action n'est pas encore complètement connu, ce sont les investigations qui le préciseront, même si nous émettons déjà quelques hypothèses en cours de publication. L'un des avantages importants du clofoctol, c'est son délai d'absorption/distribution très court. Comme l'Octofène, il est administré par voie rectale, une voie dite parentérale, ce qui lui confère une Cmax dans un délai inférieur à une heure. Or on sait que le traitement antiviral est une vraie course contre la montre. Si on veut agir dès les premiers jours du Covid, il faut en effet disposer d'un médicament qui va engager sa pharmacologie le plus tôt possible par rapport aux premiers symptômes. À cet égard, le clofoctol est un bon candidat et présente un avantage considérable par rapport à l'HCQ dont la Cmax n'est atteinte qu'après plusieurs jours. Donc si l'effet antiviral du clofoctol se reproduit chez l'homme lors de l'essai clinique, il le fera de façon rapide, ce qui représenterait un avantage dans cette course contre la montre. L'autre grand atout de la molécule est son excellent profil de tolérance, connu grâce à un usage de plus de 40 ans, y compris chez l'enfant et le nouveau-né.
À quelle échéance pensez-vous pouvoir annoncer les premiers résultats consolidés de vos recherches ? Quelles chances de succès lui accordez-vous ?
Le fait que l'épidémie ait baissé en intensité est naturellement une bonne nouvelle, mais cela rendra le recrutement de patients un peu plus difficile… Côté calendrier, si l'on recrute bien, les choses pourraient aller assez vite, sinon, il faudra sans doute attendre l'automne pour de premiers résultats. Quant à établir des chances de succès, je m'en garderai bien, pour éviter de faire une publicité mensongère du produit qui pourrait polluer le recrutement des patients.
Industrie pharmaceutique
Gilead autorise des génériqueurs à fabriquer du lénacapavir
Dans le Rhône
Des pharmacies collectent pour les Restos du cœur
Substitution par le pharmacien
Biosimilaires : les patients sont prêts, mais…
D’après une enquête d’UFC-Que choisir
Huit médicaments périmés sur dix restent efficaces à 90 %