Nul ne sait pourquoi les touristes ne sont pas plus nombreux à visiter le Minervois et le Cabardès. Sans doute les visiteurs de la voisine Carcassonne n’ont-ils pas le goût des territoires isolés, préférant filer vers la Méditerranée ou vers Toulouse. Passage entre Massif Central et Pyrénées, la vallée de l’Aude ne retient pas les voyageurs au-delà des poncifs – la Cité fortifiée, le Canal du Midi, un cassoulet à Castelnaudary… Ce manque d’intérêt (ou de déficit de promotion ?) ravira le lecteur en quête de territoires intègres, de paysages rocailleux et de rusticité méridionale. Quels sont les traits communs entre ces deux « pays » ? Des vignes et encore des vignes, des bourgs calcaires tapis au pied de coteaux et de hauts versants sauvages qui annoncent le Parc naturel régional du Haut-Languedoc. Un mélange de Provence et de Roussillon.
À l’est, dans le Minervois, …Minerve est le joyau de ce terroir assigné à Bacchus. Au confluent des gorges de la Cesse et du Brian, il déploie sur un éperon calcaire des ruelles médiévales et une tour vestige d’un antique château. Site défensif, il servit de refuge aux Cathares. La star du village est l’église. Ou plutôt son autel, le plus vieux de France (456). Minerve cache aussi une curiosité naturelle. Dans la vallée, la Cesse a coupé son méandre en perçant un vaste tunnel dans la roche. On peut emprunter ce long corridor à pied quand il n’y a pas d’eau ni d’orage.
D’autres villages affirment leur rusticité. On s’attardera à Aigne, adorable circulade : les maisons forment un cercle autour de l’église, protégées de remparts percés de portes. On se posera à La Caunette, étalé le long de la Cesse. S’ouvrant par une porte fortifiée du XIIIe siècle, le bourg livre des maisons vigneronnes à balcons fleuris et des masures abandonnées. On ira débusquer d’adorables églises et chapelles romanes à Cesseras, Siran, Pépieux (clocher fortifié), Rieux-Minervois (en plan octogonal)… La route qui relie Minerve à Félines-Minervois explose d’âpreté méridionale. Son décor de garrigue offre des points de vue plongeants sur les gorges de la Cesse et, au sud, sur le massif des Corbières, visible par-delà le canal du Midi.
Vers l’ouest, seuls quelques champs d’oliviers semblent vouloir concourir avec la vigne. Le Minervois est connu pour ses vins rouges, tanniques, puissants. Produits par 19 caves coopératives et 216 domaines particuliers, ils font la réputation de l’AOC. À seulement 20 km de Carcassonne, les touristes curieux feront halte à Caunes-Minervois. L’ancienne abbaye bénédictine (XIe-XIVe) possède un chevet d’église encadré de deux tours, fleuron de l’art roman méridional. La petite ville peut aussi se prévaloir d’un sceau royal. Exploité dès les Romains, le marbre rouge local fut adoubé par Louis XIV. Versailles, et plus tard l’Opéra Garnier, en ont été décorés. La Carrière du Roy raconte cette épopée, au bout d’un court sentier tracé au pied des falaises.
Toujours vers l’ouest, l’arrivée dans le Cabardès s’annonce par un changement : la vigne devient moins envahissante. Prairies herbeuses et champs de blé lui font concurrence. Rien d’anormal : ce terroir de collines se trouve au pied de la Montagne Noire, réputée pour sa pluviométrie. Le climat est ici sous l’emprise d’influences croisées méditerranéennes et atlantiques. Même les cépages en subissent les effets. Aux grenaches et viogniers conquérants du Minervois s’ajoutent des cabernets, malbecs, merlots, chardonnays. Les vins, ici, sont plus souples. Et plus on grimpe au nord, plus le paysage verdit. La haute vallée de l’Orbiel offre ainsi une superbe parenthèse de fraîcheur, à l’image de Cubserviès et de sa cascade à ressauts, de plus de 80 m de haut.
Comme en Minervois, l’Histoire a posé sa patine sur les villages du Cabardès. Un site l’illustre parfaitement : Lastours. Cet ensemble de châteaux-tours ruinés rappelle la puissance d’un ancien bastion seigneurial, défenseur des Cathares, repris par les catholiques lors de la croisade contre les Albigeois. À la place des trois châteaux du XIIe, détruits sur ordre du roi, quatre forteresses ont été bâties pour montrer la main mise du royaume de France sur ces terres. Reste à découvrir un village à l’histoire plus récente : Montolieu. Traversé par la Dure et l’Alzeau, il est connu comme « le village du livre ». Une quinzaine de librairies, ouvertes toute l’année, se partagent les rues. Sur ces vieilles terres du Minervois et du Cabardès, l’histoire, aussi, se régénère.