Dispenser, analyser, émettre un avis et échanger avec les autres professionnels de santé : voilà en résumé le visage du nouvel exercice officinal. Pour cela, la profession s'est dotée d'outils tels que les entretiens pharmaceutiques et, plus récemment, le bilan partagé de médication (BPM). Elle peut aussi compter sur les évolutions réglementaires lui permettant de réaliser des tests d'orientation diagnostique ou l'acte vaccinal. Les adjoints, corps officinal le plus représentatif en nombre, constituent une force pour la réalisation de ces missions et leur mise en œuvre.
Le rôle déterminant du titulaire
Pour réussir à mettre en place un nouveau service officinal, la pharmacie doit se réorganiser, tant sur le plan des ressources humaines que sur l'aménagement physique. L'impulsion du titulaire est déterminante, comme en témoignent les expériences réussies de Kaoutar et de Maxime.
La première, adjointe dans le Loiret, travaille étroitement avec son titulaire, Fredi Mimoun, pour développer les entretiens et les BPM : « Quand mon titulaire a évoqué le BPM, je n'ai pas hésité. Cette diversification de l'exercice officinal entre complètement dans l'idée que je me fais de mon métier. C'était une suite logique puisque nous pratiquions déjà les entretiens pharmaceutiques asthme et anticoagulant. Ces nouvelles missions valorisent notre place en tant qu'expert du médicament, mais aussi, au-delà, en tant que professionnel intégrant le parcours de soins. » Dès le départ, le duo titulaire/adjoint a identifié une condition sine qua non à la réussite du projet : faire adhérer l'équipe et intégrer chaque membre dans cette activité, selon ses compétences. « Nous avons fait une réunion d'équipe (composée de 7 personnes) pour expliquer le déroulement et préciser les critères d'inclusion. De cet échange est né un agenda partagé sur Google, pour fixer les rendez-vous. »
Au cours de l'année écoulée, Kaoutar a réalisé plusieurs BPM et tire de cette expérience un premier bilan mitigé : « les patients sont satisfaits, les professionnels de santé aussi. Nous avons la chance d'avoir de très bonnes relations professionnelles avec les médecins. En revanche, c'est plus chronophage pour les entretiens pharmaceutiques et le mode de rémunération actuel est un réel frein. »
Un avis partagé par Maxime, adjoint dans l'Ain, et qui a 24 BPM à son actif en 2019 : « Au début, une nouvelle activité prend du temps. Mais une fois mise en route, elle devient moins chronophage. En revanche, ce nouveau rendez-vous n'est pas toujours bien compris : dès le premier entretien, les patients s'attendent à recevoir des réponses. »
Un critère de choix pour les adjoints
Comme beaucoup de jeunes diplômés, les nouvelles missions ont fait partie intégrante du cursus universitaire qu'a suivi Maxime ; il a souhaité logiquement mettre en pratique ces compétences dès son premier poste d'adjoint. « Pour la grippe comme pour les BPM, nous sommes opérationnels en sortant de nos études (Maxime a fait ses études à Lyon), comme nous le sommes sur la dispensation des médicaments. C'était important pour moi de me confronter à la réalité. Après mes études, j'ai logiquement privilégié une pharmacie qui était versée dans les nouvelles missions. »
Quand l'adjoint devient un manager
Pour Kaoutar et Maxime, la mise en œuvre des nouvelles missions est aussi une opportunité pour redonner à l'adjoint une place de choix dans l'équipe, en tant que manager et bras droit du titulaire. Maxime s'est vu confier, quelques mois seulement après son arrivée dans la pharmacie, la gestion du dossier TROD : « J'ai pris en charge la rédaction d'une procédure, les modalités de formation de l'équipe, ainsi que l'élaboration des consignes et recommandations pour le référencement des tests. Autrement dit, il faut être proactif. C'est cette valeur ajoutée que le titulaire peut désormais attendre de son adjoint. » Et que la plupart des adjoints sont prêts à mettre en avant.
Pour réaliser ce travail efficacement, les titulaires de Maxime ont compris qu'il était nécessaire de ménager un temps dédié, loin du comptoir. « Nous essayons de nous organiser entre adjoints, sans déstabiliser l'accueil des patients. Cela nous permet de nous poser devant un ordinateur pour écrire les protocoles, éléments de base au déploiement d'une nouvelle activité. À la pharmacie, nous disposons de 2 ordinateurs pour 5 adjoints ».
« La qualité est la base de ces nouvelles missions, mais cela impose de se donner les moyens ; les adjoints doivent disposer d'un outil informatique, d'un bureau attitré, et surtout d'un dialogue constant entre l'adjoint, le titulaire et chaque membre de l'équipe », confirme Lydwin Hounkanlin, pharmacien adjoint et maître de conférences associé à la faculté de pharmacie de Poitiers.
La volonté à l'épreuve du terrain
Mais le passage de la théorie à la vraie vie ébranle parfois la volonté et l'enthousiasme des adjoints. Hadrien Philippe, en poste dans la Vienne, a consacré sa thèse d'exercice aux nouvelles missions du pharmacien, en France et à l'étranger (soutenue en 2018). Deux après, il regrette de n'avoir pas encore réalisé de BPM : « En réalité, mes premières expériences professionnelles m'amènent à constater les nombreux obstacles à la mise en œuvre de nouvelles activités, qu'elles soient dans le champ conventionnel ou non. L'environnement tout d'abord. Au cours de mon premier poste dans une pharmacie de quartier, j'ai tenté de proposer un entretien nutrition, thème sur lequel je me suis formé via un DU. Nous avions beaucoup de patients diabétiques et cet accompagnement pouvait être un atout dans leur prise en charge. Les titulaires ne s'y sont pas opposés mais j'ai moi-même constaté la difficulté à mettre en place de tels rendez-vous sur la durée. Au final, j'ai reçu 2 ou 3 patients ; ils avaient l'air satisfaits, mais il n'y a pas eu de suite. » Autre difficulté évoquée par le jeune confrère, le manque d'adhésion de la part des professionnels de santé du secteur : « Le BPM est d'autant plus pertinent qu'il s'inscrit dans un exercice partagé. Mais l'esprit de coopération entre les professionnels de santé manque encore. »
L'émancipation de l'adjoint, un moteur pour l'officine
Ces expériences démontrent les disparités de moyens mis à la disposition des adjoints pour s'engager dans les nouvelles missions. Mais une chose semble acquise : « L'adhésion est bien réelle et les adjoints veulent aller vers ce nouvel exercice, plus complet et valorisant, témoigne Laure Emmanuelle Foreau, formatrice et fondatrice de Praxipharm. Quel que soit l'âge, l'objectif de la formation est de permettre aux adjoints de trouver leur place dans l'écosystème de santé. En formation, nous les amenons à favoriser l'échange avec leur titulaire, et promouvoir la communication avec les infirmières et les médecins. »
Une émancipation qui doit s'accompagner nécessairement d'une mutation organisationnelle et physique des officines, et qui oblige le titulaire à endosser, en plus du rôle de chef d'entreprise, celui de chef de service.