La mer rappelle toujours aux touristes qui est le maître du jeu. En ce jour d’octobre, avec la tempête qui fait rage au large, le bateau promis ne part pas, une rareté pour la compagnie Penn Ar Bed. Par bonheur, Finistair offre une solution inespérée. L’avion, 11 places seulement, n’est pas complet. C’est donc avec de la chance que l’on touche l’ultime terre occidentale de France, après un vol express de 20 minutes aux côtés d’îliens, de vacanciers et d’employés d’une société de téléphonie mobile dépêchés pour réparer des dégâts causés par le mauvais temps. Changement de monde… Ciel bas, rochers écumants, prés verts et landes rousses composent le décor d’une île où la lenteur s’impose. Ici, pas de transport high-tech pour rejoindre Lampaul, la « capitale ». Les logeurs viennent vous chercher en voiture, première étape d’intégration. Et c’est à vélo, bien sûr, que l’île dévoile ses meilleurs replis.
La tempête annoncée n’est pas une vue de l’esprit. Nous filons à la plage de Yusin, tournée vers le large, côte nord. Spectacle fascinant des vagues fracassant les rochers. Les gerbes d’écume et la furia de la mer imposent respect… et prudence. À la Pointe de Pern, la pièce de théâtre atteint des sommets. Plein ouest, le cap reçoit toute la colère accumulée par l’océan. Si le visiteur se garde de parader dans ces conditions, que dire des phares ! Ils sont cinq à Ouessant. Trois sont postés en mer (Kéréon, Nividic et La Jument) et subissent sans broncher les assauts marins. Fidèles, ils alertent des dangers d’un secteur qui a vu les hauts-fonds accrocher maintes fois des quilles de navires… À terre, le dispositif est renforcé par le phare du Creac’h, l’un des plus puissants d’Europe. S’y ajoute le radar du CROSS (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage), vigie d’observation du fameux rail d’Ouessant, couloir emprunté par plus de 50 000 navires par an.
Néo-agriculteurs et produits locaux
À être ainsi ensorcelé par la tempête, on en oublierait presque les paysages intérieurs de l’île. Ils sont pourtant l’expression vigoureuse de l’identité d’Ouessant. Les moutons en liberté font depuis toujours partie du décor. L’empreinte ovine s’est accentuée depuis qu’une jeune éleveuse de brebis originaire de l’île s’est installée en 2020, après appel à projets de la commune d’Ouessant, soucieuse d’installer un producteur laitier. Ses 70 bêtes broutent l’herbe grasse de parcelles en fermage. Objectif : fabriquer yaourts et fromages et les vendre en local. Ne soyez pas surpris de découvrir aussi des vaches. Un autre éleveur est arrivé, avec le même objectif de vente directe. C’est une nouveauté à Ouessant, jusque-là tournée vers une agriculture familiale. Ces installations sont en phase avec une demande croissante de produits en circuits courts, moins chers pour les îliens que ceux importés du continent… et attrayants pour les visiteurs. La pêche aussi a forgé l’âme des Ouessantins. Marins de proximité pour le bar, le lieu ou le maquereau, marins au long cours pour la marine marchande : les hommes étaient voyageurs, quand les femmes restaient à terre. Cela a suscité une grande ouverture d’esprit, entretenue au fil des générations, ainsi qu’une tradition d’accueil.
L’île offre aussi à voir des petits moulins à vent en pierre et bois, dotés d’ailes-râteaux. Les hameaux, eux, présentent des maisons basses traditionnelles, avec des façades tournées au sud et une absence de murs intérieurs, comme on peut le constater à l’écomusée de la Maison du Niou. Tout en sillonnant l’île à son rythme (deux à trois jours sont un minimum pour en profiter), il faut apprivoiser également Lampaul. Là bat la petite ville sociale de l’île, 500 habitants au cœur de l’hiver mais 4 000 en été. Ici au village, des rites existent : acheter son poisson au stand d’Ondine Morin, marin-pêcheur, près de l’église ; se procurer « le Télégramme » à la Maison de la presse, sitôt l’avion de Brest reparti ; et surtout, finir la journée au pub Ty Korn, juge de paix des soirées ouessantines. L’île n’a d’isolée que sa situation. Les relations humaines et la solidarité semblent, ici, battre plus fort qu’ailleurs.