Des couleurs (le rouge et le vert !), de la culture, des plaisirs de la table, des sports inédits, des rites sociaux, une architecture typique… Il faudrait être aveugle ou sourd pour ne pas distinguer que vibre ici une terre différente. Pour les touristes, le Pays basque se résume le plus souvent au charme de sa côte. Chic à Biarritz, plus authentique à Bayonne, Saint-Jean-de-Luz et Hendaye, elle vibre au rythme de vacanciers qui apprécient ses plages et ses distractions balnéaires. Même si cet été risque d’être perturbé par les mesures de distanciation sociale, nul doute que l’on apercevra des surfeurs au large de Bidart ou des familles bon chic bon genre à Guéthary.
Mais apprécier le littoral basque, c’est autre chose. C’est se balader au petit matin sur le port de pêche de Saint-Jean-de-Luz, grimper au sommet du phare de la pointe Saint-Martin, à Biarritz, suivre le chemin littoral en dents de scie de Bidart à Hendaye, entre falaises et prairies herbeuses… Et, le soir venu, s’attabler à une terrasse de restaurant pour déguster de savoureux chipirons à l’encre. C’est enfin, à Bayonne, sur les rives de l’Adour, assister à une partie de pelote au trinquet Saint-Vincent et découvrir l’âme populaire du quartier Saint-Esprit. Rue Sainte-Catherine, on y trouve les dernières maisons bayonnaises du XVIIe siècle à pans de bois et murs en pierre jaune de Mousserolles.
Les fermes labourdines
Comme souvent dans un territoire touristique, il faut viser les replis pour cerner une identité plus profonde. Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin. Déjà, à quelques kilomètres du rivage, plusieurs villages éclatent de basquitude. Il y a Ainhoa et Espelette, bien sûr, stars incontestées avec leurs maisons rouges et blanches à colombages – et les cordes de piment suspendues aux façades d’Espelette. Il y a Sare, aussi. Ce village parsème ses fermes labourdines à balcons dans des « quartiers » disséminés sur des versants au vert éclatant, dont les prairies sont closes d’étonnantes pierres levées. Dans le bourg, organisé autour du fronton de pelote et de l’église massive cernée de tombes à stèles hélicoïdales, il faut visiter la maison Ortillopitz, gardienne des traditions familiales basques.
Itxassou mérite aussi une visite. Parmi ses « quartiers », Gérasto, sous l’Artzamendi (926 m), s’offre en totale liberté avec ses lourdes fermes à colombages, ses pottoks (chevaux sauvages) errants et son invraisemblable fronton posé au milieu de nulle part, dans un champ, comme un totem solitaire perdu en pleine nature.
Une route à virages plus loin, bornée de brebis à poil long qui piquent de blanc la mosaïque verte des collines, voici Hasparren. S’il est une adresse à fréquenter, c’est celle de la charcuterie Ospital. Où comment guérir en un clin d’œil de la malbouffe et la médiocrité culinaire ! Dans le saloir où officie Eric, les jambons entorchonnés révèlent l’inimitable fondant des jarrets à l’os.
Le flot de véhicules se dirige vers Saint-Jean-Pied-de-Port et Saint-Étienne-de-Baïgorry ? Prenez le contre-pied de cette transhumance. Même si la foule se rend à juste titre dans ces deux villages pour leur beauté architecturale, mettez le cap au nord depuis Hasparren, en direction de La Bastide-Clairence. Voilà une bastide gasconne repeinte aux couleurs du Pays basque. Murs blancs et volets rouges encadrent la place centrale, où résonne le bruit sec de la pelote claquant sur le mur du fronton.
En marchant
On le voit en sillonnant la région : le Pays basque est rarement ambigu. La Soule, province la plus reculée, austère et sauvage, en est la preuve. Ici, les maisons ont abandonné toute fioriture architecturale pour se fondre dans un moule montagnard rustique. Après Saint-Palais, où se tiennent en août des jeux de force (auront-ils lieu cet été ?), arrêt à Mauléon. C’est le pays de l’espadrille. Atelier fouillis où s’entassent vieilles machines, sacs de jute et rouleaux de coton, la fabrique Don Quichosse revisite une tradition séculaire du territoire. C’est donc en marchant qu’il faut achever le périple ! À Iraty, à Ahusquy, territoires aériens mêlant versants émeraude et forêts de hêtres, le vent pousse vautours et milans à jouer les contrebandiers des airs, entre Iparralde (Pays basque nord) et Hegoalde (Pays basque sud). Symbole d’un territoire vivifiant et cultivé dont personne ne revient indemne.