Une urgence environnementale

Pourquoi et comment il faut réduire l’utilisation des plastiques en santé

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Publié le 07/09/2023
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Le 5 juin 2023, la Journée mondiale de l’environnement prenait la forme d’un appel à combattre la pollution plastique. Quelques jours plus tôt, le 2 juin, à Paris, 175 États étaient parvenus à se mettre d’accord sur la rédaction d’un document de base aux termes d’âpres échanges qui ont émaillé la deuxième session du Comité de négociation intergouvernemental (INC-2). Son objectif ? Élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique à l’horizon 2024. Les activités et produits liés aux soins de santé ne sont pas étrangers au débat.
Plus de 50 % des produits médico-pharmaceutiques sont fabriqués en plastique

Plus de 50 % des produits médico-pharmaceutiques sont fabriqués en plastique
Crédit photo : APHP/HEGP/RADIOGRAPHIE INTERVENTIONNELLE/PHANIE

Dans le secteur de la santé, le plastique est omniprésent dans les dispositifs médicaux de délivrance de fluide médicamenteux, nutritionnel ou biologique, dans le soin (gant, blouse, drap, matériel à usage unique, emballages et suremballages des instruments) et autour du soin (restauration : plateau etc.). La réduction de son utilisation pose de nombreux problèmes et les solutions de remplacements sont au centre de recherches actives.

Les chiffres sont astronomiques. Chaque année, l’humanité produit plus de 450 millions de tonnes de plastique, dont un tiers n’est utilisé qu’une seule fois. Sur les 8 300 milliards de tonnes produites depuis 1950, 30 % sont toujours en usage, 10 % ont été incinérés et 60 % ont fini en déchets (30 % en décharge, 30 % rejetés dans l’environnement).

Inondation plastique

99 % des plastiques sont fabriqués à partir de combustibles fossiles par l’industrie pétrochimique. 12 % du pétrole va aux polymères utilisés pour des emballages à usage unique. Plastiques et produits pétrochimiques seront à l’origine de 30 % de la croissance de la demande en pétrole d’ici 2030

Chaque jour, l’équivalent de plus de 2 000 camions à ordures remplis de plastique est déversé dans les océans, les rivières et lacs. Si la trajectoire actuelle est poursuivie, le déversement des déchets devrait atteindre 29 millions de tonnes en 2040.

La matière plastique ne réintègre aucun des grands cycles biogéochimiques qui garantissent la stabilité de notre environnement sur Terre. Le plastique, contrairement à tous les autres matériaux que nous utilisons, s’accumule, se fragmente très lentement (3 % par an), en microparticules (microplastiques MP 1 µm-5 mm) puis nanoparticules (nanoplastiques NPL de 0,1 à 1 µm, particulièrement difficile à détecter) et déséquilibre l’environnement, faisant peser des risques sur la santé humaine, animale et les écosystèmes. Par modélisation mathématique, les scientifiques ont montré à quel point cela aggrave leur impact sur des millénaires. Ils sont aussi parvenus à chiffrer les multiples compartiments. Ainsi, 97 % des plastiques et MP se trouvent en milieu anthropisés terrestres (décharge, nature, en utilisation). En surface des océans, se trouvent 0,03 million de tonnes (Mt) de plastiques et MP. Tandis que, dans le compartiment de l’océan profond, de plus en plus étudié, on estime cette charge à 82 Mt, soit 300 fois plus !

Le plastique, loin d‘être un matériau inerte, est vecteur d’autres contaminants chimiques : polluants environnementaux (pesticides), médicaments (antibiotiques) métaux lourds, bactéries pathogènes, qui se retrouvent dans la chaîne alimentaire.

La contamination n n’est pas uniquement alimentaire puisqu’ils se retrouvent dans l’air que nous respirons résultant d’une émission directe (ex. l'abrasion des pneus) mais aussi d’émission des océans vers le compartiment atmosphérique puis dépôts sur le sol naturel et les glaciers.

Penser la durabilité des matériaux dès leur conception

« Aucun plastique n’est biodégradable dans les conditions naturelles et c’est bien ce qui le rend dangereux, explique Nathalie Gontard, directrice de recherche à l’INRAE de Montpellier. Les plastiques biosourcés présentent les mêmes problèmes en termes de pollution lorsqu’ils ne sont pas biodégradables. » Et le recyclage ? « C'est en fait un décyclage* sans réduction de l’empreinte plastique, qui nous pousse à chercher de nouveaux débouchés pour un plastique dégradé », éclaire Nathalie Gontard pour qui le recyclage n’est donc pas LA solution. Le plastique n’est un matériau qui se prête ni à la réutilisation ni au recyclage (contrairement au verre) ni à la biodégradabilité (contrairement au papier ou au coton). La durabilité des matériaux doit être pensée dès leur conception en évaluant l’ensemble de leurs impacts et en comptabilisant leur persistance sur le très long terme. La plus grande prudence s’impose donc avant l’usage de tous les polluants éternels.

Les experts sont unanimes et appellent à la sobriété : la solution réside au niveau de l’usage. « Quand la baignoire est pleine on ferme le robinet avant de sortir la serpillière », nous devons donc réduire notre usage de plastique et changer nos habitudes pour aller vers des pratiques plus sobres en plastiques.

Expérimentations hospitalières en cours

Le 22 mai dernier, Mme Agnès Firmin le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la Santé et de la Prévention chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé, a établi la feuille de route de la planification écologique du système de santé qui décline 7 champs d’action dont le n° 4 « accélérer la réduction des déchets et leur valorisation d'ici 2030 ».

Dès le début 2023, la DGOS (Direction générale de l'offre de soins) a lancé un appel à projet pour sélectionner des expérimentateurs sur la réduction et la valorisation des déchets alimentaires et plastiques à usage unique. « Nous avons reçu de nombreuses réponses démontrant la volonté et l’engagement du secteur », relate Hélène Gilquin, cheffe du projet décarbonation du système de santé. Parmi 30 propositions reçues pour le plastique, 3 GHT (Groupements hospitaliers de territoire) ont été sélectionnés pour le plastique à usage unique : les GHT Eure-Seine-Pays-d’Ouche, Alliance-de-Gironde et Hôpitaux-de-Provence.

Ils bénéficient d’un accompagnement pour tester des solutions (mise en place de process, choix de solutions techniques, modèle économique) et les transformer en bonnes pratiques afin d’en faire bénéficier le maximum d’établissements de santé. Des webinaires viennent en appui de la démarche (ex : cartographie des différentes typologies de plastiques présents à l’hôpital dans les dispositifs médicaux et la restauration).

Dispositifs médicaux : vigilance et recherche

Dans les tubulures et prolongateurs, le PVC (Polychlorure de vinyle) continue d’être très utilisé pour ces qualités de souplesse, flexibilité, et biocompatibilité, en dépit des interactions contenu-contenant propres à ce matériau (sorption des principes actifs des médicaments sur les parois plastiques mais surtout migrations des plastifiants). Donnons l’exemple de DEHP (di-2-éthylhexyl phtalates), non lié aux polymères, perturbateur endocrinien et classé CMR (Cancérigène mutagène reprotoxique), qui migre dans la solution médicamenteuse et est administré aux patients.

Ces questions sont particulièrement prégnantes lorsqu’il s’agit de patients très fragiles tels les bébés prématurés recevant nourriture, oxygène et médicaments via des sondes, poches et cathéter en plastique. « Ces petits patients dont le système de détoxification est immature sont d’autant plus sensibles aux toxiques », pointe le Dr Morgane Masse, MCU-PH au CHU de Lille, entraînant une surexposition au DEHP. Autre exemple : les dialysés chez qui s’accumule le bisphénol A (BPA), perturbateur endocrinien avéré, faute de pouvoir l’éliminer par voie urinaire et pour lesquels l’exposition s’accentue du fait du relargage du BPA par la coque et la membrane des dialyseurs.

Des plastifiants alternatifs

Une première piste vise à faire appel à des plastifiants alternatifs au DEHP. Le DEHT (di-ethylexylterephtalate) et surtout le TOTM (tri-octyltrimellitate) présentant un rapport bénéfice/risque intéressant (Projet ARMED NEO, équipe du Pr Valérie Sautou, CHU Clermont-Ferrand soutenu par ANSM). Autre possibilité : remplacer le PVC par d’autres matériaux. Le PE (polyéthylène) et le PUR (polyuréthane), moins souples, ne peuvent pas remplacer le PVC dans toutes ces utilisations mais sont plutôt utilisés pour les cathéters et les prolongateurs.

D’autres idées sont au cœur d’une recherche active. « Des traitements physico-chimiques de l’extrême surface du PVC sont étudiés de façon à limiter les interactions tout en conservant ses propriétés en profondeur », révèle le Dr Morgane Masse.

D’une façon globale, il convient d’apprendre à se passer des 75 % des plastiques qui ne sont pas directement utiles. En santé, partout ou la réduction plastique est envisageable elle doit être tentée afin de réduire les effets de la pollution plastiques sur des populations par définition fragilisées par les affections.

 

* Forme de recyclage par laquelle on transforme un déchet matériel ou un produit inutile en un nouveau matériau ou produit de qualité ou de valeur moindre.

Mireille Peyronnet

Source : Le Quotidien du Pharmacien