Un sondage récent montre qu'une forte majorité est hostile au passeport, aussi bien sur le plan national que sur le plan européen. Le sondage peut, mais ce n'est pas sûr, contenir un biais dans la mesure où les personnes interrogées sont pour la plupart des citoyens anti-vaccin, plus enclins à donner leur opinion par rapport aux citoyens qui sont indifférents au sujet ou favorables à un document, électronique ou pas, qui assure la libre circulation, à l'intérieur des frontières de l'hexagone ou à l'extérieur.
Certes, la première fonction du vaccin est de protéger d'abord les personnes les plus vulnérables, puis l'ensemble de la population. Il est certain qu'au terme de la campagne vaccinale nous aurons été collectivement immunisés. Ce qui signifie qu'au bout d'au moins deux années, le passeport sanitaire ne serait plus indispensable. En attendant, il n'y a aucune raison d'interdire aux vaccinés d'aller au restaurant ou au cinéma, et de voyager à l'intérieur de la France ou en dehors. Car la deuxième fonction du vaccin est d'accompagner la relance de l'économie.
Même provisoire, la suspension de l'AstraZeneca n'aura guère contribué à la bonne réputation de la vaccination et a entraîné une vive réaction publique contre la campagne. Elle suffit à expliquer non seulement la très mauvaise humeur générale mais la confusion sur les moyens de sortir d'une crise longue et dure. Elle est due principalement à la mention dans la Constitution française du principe de précaution. Bien entendu, si un nombre élevé d'AVC ou de thromboses est lié à l'AstraZeneca, il vaut mieux s'en dispenser. Mais les pays comme la Grande-Bretagne, les États-Unis ou Israël, qui ont déjà acquis un début d'immunité collectivement n'ont pu y parvenir qu'en vaccinant massivement, sans se laisser bloquer par un principe de précaution dont les conséquences sont diamétralement opposées à celles que l'on recherche.
Le rapport bénéfice/risque
Personne, en effet, n'est en mesure d'affirmer que l'absence de vaccin apporte un bénéfice plutôt qu'un risque. Toute la médecine moderne est dominée par le rapport bénéfice-/isque, dogme que l'on a obéré au profit du principe de précaution. Nul doute que la médecine, aujourd'hui si critiquée, a procédé de façon empirique au cours de la crise sanitaire, comme cela a toujours été le cas dans le domaine de la recherche. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil et les pays qui se sont donné pour objectif l'immunisation collective n'ont simplement pas cherché à ralentir leur campagne vaccinale sous un prétexte de sécurité qu'il est possible de retourner contre ceux qui le défendent : moins le nombre d'injections est élevé, plus les chances de contracter la maladie sont grandes.
Pour toutes ces bonnes raisons, la suspension de l'AstraZeneca aura été une erreur stratégique, comme les autorités sanitaires et politiques en ont tant commis ces derniers mois. De même que la Commission européenne n'a pas su placer sur le marché mondial ses commandes de vaccin, provoquant de la sorte un chaos, de même c'est l'Europe qui a appliqué le principe de précaution sous la houlette de l'Allemagne, chef de ligne des sceptiques et des prudents, qui a déclenché la suspension du vaccin dans nombre de pays européens, France comprise.
Pendant ce temps, les Français les plus vulnérables, notamment les personnes âgées de plus de 75 ans, sont exposés à la contagion. Personne ne pourra dire combien de citoyens auront perdu la vie parce qu'ils ont été contaminés avant d'avoir pu être vaccinés. À plusieurs reprises, les pouvoirs publics sanitaires nous ont exposé leur vision d'une France rendue à ses habitudes et donc d'une nation enfin libérée de ses peurs ; mais en réalité l'énorme machine bureaucratique a été incapable de traiter le cas de particuliers empêchés de se rendre sur des lieux de vaccination trop éloignés. Plus les gens sont âgés, plus il est évident qu'ils ne peuvent pas franchir de longues distances. L'offre vaccinale a été et reste encore largement insuffisante, un problème resté jusqu'à présent sans solution.