Le 19 juillet 2018 était publié au « Journal officiel » le décret relatif à l'exercice infirmier en pratique avancée (IPA). Présentées dans le cadre du projet de loi Ma Santé 2022 visant à moderniser le système de santé des vingt prochaines années, les nouvelles missions liées à la pratique avancée doivent permettre à ces professionnels paramédicaux de disposer de compétences élargies, à l'interface de l'exercice infirmier et de l'exercice médical.
Ainsi, le décret stipule notamment que « dans le respect du parcours de soins du patient coordonné par le médecin traitant (...), l'infirmier exerçant en pratique avancée apporte son expertise et participe, en collaboration avec l'ensemble des professionnels concourant à la prise en charge du patient, à l'organisation des parcours entre les soins de premier recours, les médecins spécialistes de premier ou deuxième recours et les établissements et services de santé ou médico-sociaux ».
Les domaines d'intervention qui lui sont ouverts sont les pathologies chroniques stabilisées, la prévention et les polypathologies courantes en soin primaires, l'oncologie et l'hémato-oncologie, la maladie rénale chronique, la dialyse, la transplantation rénale et la santé mentale. Dans ces situations, il est « compétent pour tenir un entretien avec le patient qui lui est confié, effectuer une anamnèse de sa situation et procéder à son examen clinique ». Il pourra également « conduire toute activité d'orientation, d'éducation, de prévention ou de dépistage qu'il juge nécessaire ; effectuer tout acte d'évaluation et de conclusion clinique ou tout acte de surveillance clinique et paraclinique consistant à adapter le suivi du patient en fonction des résultats des actes techniques ou des examens complémentaires ou de l'environnement global du patient ou reposant sur l'évaluation de l'adhésion et des capacités d'adaptation du patient à son traitement ou sur l'évaluation des risques liés aux traitements médicamenteux et non médicamenteux ; d'effectuer les actes techniques et demander les actes de suivi et de prévention inscrits sur les listes établies par arrêté ministériel (...) ».
Expertise supplémentaire
Enfin, l'infirmier en pratique avancée aura la capacité de prescrire des médicaments et des dispositifs médicaux non soumis à prescription médicale obligatoire, mais aussi des examens de biologie médicale, tous listés par arrêté ministériel. Il pourra renouveler des prescriptions, faisant également l'objet d'une liste, en les adaptant si besoin. Un patient insuffisant cardiaque, par exemple, pourra voir son dosage modifier par l'IPA, qui a également la possibilité de lui prescrire un bilan sanguin pour contrôle. « Ces gestes font systématiquement l'objet d'un retour écrit au médecin généraliste ou au spécialiste prescripteur », précise Jessica Lavigne, référent national pour les IPA auprès du syndicat Convergence infirmières. Il existe cependant des restrictions de prescription en fonction de certaines pathologies comme l'épilepsie ou la maladie de Parkinson, deux affections dans le cadre desquelles les infirmiers IPA sont aptes à exercer leurs missions.
Ils peuvent également intervenir auprès des patients souffrant de diabète – type 1 et 2, d'AVC, d'artériopathies chroniques, de cardiopathies, de maladies coronariennes, d'insuffisance respiratoires chronique (asthmatiques, BPCO essentiellement), de maladie d'Alzheimer et autres démences. « La pratique avancée est une expertise supplémentaire au socle du métier d'infirmier. » Elle a été créée pour répondre à la croissance des maladies chroniques, à l'engorgement des cabinets de spécialistes et de généralistes et pour améliorer le suivi des patients et l'observance des traitements. « Les capacités d'accueil restreintes de certaines structures médicales peuvent poser problème aux patients chroniques dont la pathologie est présente jour après jour, sans jamais s'arrêter. Leur état nécessite des soins et un suivi régulier et rigoureux qui ne peut être différé sans qu'il y ait un risque de décompensation. » Les nouvelles missions de l'infirmier ont été imaginées dans l'idée d'augmenter le suivi des patients chroniques sans surcharger les médecins généralistes ou spécialistes. Elles permettent aussi d'améliorer la prévention et l'éducation thérapeutique du patient. « Quand on suit de près un malade, il est plus facile de prévenir les manifestations des pathologies connexes. On sait, par exemple, qu'un patient BPCO présente un risque élevé de maladies cardiovasculaires, on va donc orienter notre surveillance dans ce sens. » Un cercle vertueux se met alors en place avec l'ambition d'améliorer la qualité de vie des personnes et de réduire les dépenses de santé.
Pour Adeline Cancel, l'une des rares IPA libérales que compte le territoire, les bénéfices de ces nouvelles missions sont multiples. « Pour pratiquer en tant qu'IPA, nous suivons une formation de deux ans en faculté de médecine qui délivre un diplôme d'État de niveau master. Ce cursus nous confère une expertise, surtout clinique, plus avancée. » Les missions sont alors nombreuses, avec une place privilégiée accordée à la consultation du patient qui dure environ une heure. « La grande spécificité de l'IPA c'est le gain d'autonomie au niveau des actes mais aussi la collaboration étroite avec le médecin qui nous porte à agir en binôme. »
En attente
La relation avec le pharmacien est également renforcée : du fait des prescriptions de l'IPA, d'une part, à l'occasion du suivi d'un patient complexe, fragile ou peu observant dans le cadre d'une coordination de soins, d'autre part, ou en cas de perte d'autonomie pour mettre en place le matériel médical à domicile. Quand on travaille au sein d'une maison de santé pluriprofessionnelle, comme c'est le cas d'Adeline Cancel, cette collaboration revêt une importance particulière. « J'exerce en milieu rural, une zone de désertification médicale où ma montée en compétences permet de soulager le médecin grâce à une meilleure prise en charge du patient. Je travaille en étroite collaboration avec la pharmacie qui occupe une place centrale dans ce cas de figure. Avec le médecin, nous formons un trio de santé indispensable. » Disposer d'un prescripteur supplémentaire offre aussi un nouveau souffle aux petites villes en relocalisant les actes de santé et en augmentant l'activité de l'officine en place.
La belle mécanique qui se met en marche n'est cependant pas sans rencontrer quelques difficultés au démarrage. La première est sans doute l'absence de numéro de prescripteur médical qui ralentit la prise en charge des ordonnances émises par l'IPA. « Nous attendons qu'un numéro de praticien spécifique nous soit attribué, reprend Jessica Lavigne, sans quoi nos ordonnances ne peuvent être reconnues par les caisses d’assurance maladie et les mutuelles, créant des problématiques de délivrance et de règlement pour le pharmacien, mais surtout de remboursement pour les patients. » D'autres ajustements seraient nécessaires pour permettre au métier d'IPA d'être pleinement effectif. « Exercer en tant qu'IPA libéral est compliqué. Nous sommes soumis à l'adressage médical, c’est-à-dire que le médecin traitant, avec l'accord du patient, nous désigne pour le suivi médical. » Ce qui implique de contacter un ou plusieurs médecins afin de contractualiser un protocole d'organisation écrit qui va définir quel patient, à quelle fréquence et dans quelles conditions doit s'effectuer l'exercice. « Cette procédure limite l'accès à une certaine catégorie de patients, voilà pourquoi nous préconisons un accès en premier recours. » Très peu d'IPA sont installés en libéral à ce jour. En cause, la nouveauté du cursus dont la première promotion a été diplômée en 2019, l'exercice salarié – en structure hospitalière ou en centre de santé - qui capte une partie des jeunes IPA, la méconnaissance de ce nouveau statut parmi les professionnels de santé… « La rémunération n'est pas à la hauteur du travail engagé, ajoute Jessica Lavigne. Plusieurs conditions manquent encore pour que nous puissions pleinement pratiquer nos nouvelles missions. »