La dette est devenue l’épouvantail de l’Europe en déclenchant des querelles qui ont menacé et menacent encore la zone euro, l’Union européenne, les relations entre Européens du Nord et du Sud, les sociétés grecque, espagnole ou portugaise et les relations entre la France et l’Allemagne. On recommandera donc la lecture du livre d’André Grjebine, même si elle n’est pas facile pour ceux qui ne prétendent pas comprendre le fonctionnement de l’économie et la finance dans leurs moindre détails.
André Grjebine s’efforce donc dans son livre, (1) de dédramatiser un thème qui, tout en soulevant des passions extrêmes, se heurte à l’ignorance du grand public, laquelle n’est pas propice à un comportement serein. L’un des mérites de l’ouvrage est de rappeler quand même que, avant d’être un voyage en enfer, la dette est la plus naturelle des choses, en ce sens qu’elle est inséparable du développement. Un pays qui croît crée forcément de la dette, de la même façon qu’un ménage s’endette pour acheter une maison ou une voiture et que, s’il ne pouvait étaler ses remboursements dans le temps, devrait se passer de ces aménités.
Bien entendu, rappelle Grjebine, c’est quand l’endettement grossit au point qu’il n’est plus soutenu par la création de richesses correspondantes, il devient problématique, pour une famille comme pour
un pays. Soutenu par une bibliographie impressionnante et des citations de faits historiques démontrant que la dette fut de tous les temps, l’auteur passe en revue les diverses possibilités de rembourser ou de contenir la dette, ou d’en écarter les effets les plus nuisibles. Disons-le tout net, parce qu’il ne s’en cache guère : il n’est pas de ces économistes qui font de la rigueur ou de l’austérité, appelez-la comme vous voulez, le comble de la vertu et il condamne sans réserves les politiques imposées à la fois par l’Allemagne et par la troïka
(BCE, FMI et Commission européenne) qui ont infligé aux Grecs, aux Italiens, aux Espagnols et à d’autres des souffrances que l’on aurait, peut-être, pu éviter. C’est, en vérité, que les remèdes sont infiniment plus nombreux qu’on ne le croit, et André Grjebine en mentionne plus d’un, comme la création d’un Trésor européen, que ne connaissent que les happy few. L’auteur fait aussi la synthèse de toutes les initiatives prises par l’Union européenne ou la zone euro, notamment la politique de quantitative easing de la Banque centrale européenne, qui consiste à inonder les banques du continent de liquidités. Il n’est pas hostile à ces mesures et il regrette que la doctrine
européenne, ou plutôt allemande, rejette la monétisation de la dette, même si le quantitative easing en est une forme.
En désaccord avec l’Allemagne.
« Il est vraisemblable, écrit-il dans sa conclusion, que la crise ne pourra être jugulée que par la mise en oeuvre de réponses audacieuses allant à l’encontre de l’orthodoxie monétaire qui continue à prévaloir en Europe ». L’engagement est clair : il est indispensable de convaincre les Allemands de renoncer à imposer au reste du continent une politique économique et financière qui finira par faire exploser l’euro et l’Europe. Il n’est pas le premier à le dire, mais il le dit avec toute la force de persuasion qu’il tire du sérieux de son
travail. L’économie validant toutes les possibilités de contenir ou même de neutraliser la dette par l’inflation, par la monétisation, par les obligations à durée perpétuelle, le problème n’est plus que politique. Il n’en est pas moins sérieux, quand on sait avec quelle détermination l’Allemagne continue à s’opposer à ce qu’elle considère comme des politiques laxistes. Elle le fait avec la foi du charbonnier, en excipant de ses propres résultats pour montrer qu’elle a éclairé le chemin, mais sans bien comprendre que l’Europe faisant partie de son marché, elle finira par échouer si elle ne permet pas à ses partenaires commerciaux de créer assez de croissance pour continuer à importer des produits allemands.