Alors que commence la conférence mondiale sur le climat, dite COP 21, les pharmaciens s’intéressent de plus en plus au développement durable. C’est le cas de Clarisse Savazzi. Titulaire à Saint-Privat-des-Vieux (Gard) depuis juillet 2002, elle a entamé une démarche complète à l’occasion d’un transfert.
« Depuis 1978, la pharmacie n’avait pas changé d’adresse. Nous évoluions dans des locaux municipaux, avec les mêmes volumes et quasiment les mêmes normes d’installation. Cet immeuble, au passé historique, fut tour à tour réserve à charbon, salle de classe, appartement de fonction de l’instituteur, mairie du village et salle des mariages », se souvient-elle.
Sa situation privilégiée en plein cœur du village avait aussi ses désavantages. Le bâtiment ne répondait plus aux critères de sécurité d’un établissement recevant du public. La configuration ne permettait pas l’installation de portes automatiques pour faciliter l’accès de personnes à mobilité réduite, l’absence de trottoir rendait l’approche de l’officine dangereuse et posait régulièrement problème lors des fameux « épisodes cévenols » où toute l’équipe devait chasser l’eau de pluie « à grands coups de balai ».
Tout projet d’agrandissement était tué dans l’œuf « car nous juxtaposions un complexe culturel d’écoles de musique, de dessin, l’auditorium aux multiples usages ». Sensibilisée aux questions environnementales, Clarisse Savazzi a profité du transfert de son officine pour en faire une véritable pharmacie durable.
Prendre soin de soi
« Dans un souci de modernité et pour faire écho à nos valeurs, nous avons pris contact avec notre agence régionale de l’ADEME*. » Orientation du bâtiment, choix des matériaux, préservation des ressources énergétiques, l’Agence a proposé des solutions qui ont été intégrées au cahier des charges de l’architecte.
La nouvelle pharmacie a ouvert ses portes le 17 août dernier, avec une orientation sud-ouest et de larges baies vitrées avec filtre UV « pour bénéficier au maximum de l’ensoleillement » tout en protégeant de la chaleur. L’ensemble de l’éclairage repose sur des LED et des ampoules basse consommation. Les eaux pluviales sont récupérées dans un bassin de rétention sous le vide sanitaire du bâtiment pour éviter toute remontée d’humidité et d’odeur. Clarisse Savazzi a développé un rayon bio-phyto-aromathérapie, dont les produits sont choisis pour leur composition et non pour la force marketing des entreprises qui les développent. « Cette autre façon de prendre soin de soi est très bien accueillie par nos clients. »
La pharmacienne continue tout ce qu’elle a mis en place depuis des années, que ce soit la récupération des DASRI** ou le choix de sacs en toile réutilisables. « Le développement durable passe par des petits pas quotidiens : les feuilles de papier ont deux faces, les portes sont fermées, les cartons d’emballage sont compactés. Il est un adage : la répétition fait l’éducation », ajoute Clarisse Savazzi.
Habitudes de vie
Récompensé en 2010 du prix pharmacie et santé durable lors des Grands prix de la pharmacie du « Quotidien du Pharmacien », Éric Gendrin, titulaire à Iffendic (Ille-et-Vilaine) fait aussi partie des pionniers. « Nous demandons aux patients de rapporter les sacs isothermes mis à disposition pour le transport d’un vaccin, nous utilisons des produits écologiques et biodégradables pour le ménage, tous nos documents sont imprimés avec une police d’écriture écologique qui consomme moins d’encre, on utilise la facturation électronique dès lors que nos fournisseurs le proposent, on imprime principalement sur des feuilles de brouillon, une charte écologique est affichée dans l’espace de vente… », énumère Éric Gendrin.
Des petites choses qui, cumulées, font la différence et deviennent des habitudes de vie. Le titulaire a également installé des panneaux photovoltaïques qui produisent de l’électricité vendue à EDF, et compensent en partie les factures d’énergie. Depuis 2013, la pharmacie a abandonné les sacs jetables et offert à tous ses patients un sac réutilisable qu’elle remplace gratuitement s’il est abîmé. « En cas d’oubli, on vend le sac à prix coûtant, soit 69 centimes. »
Autre activité dont Éric Gendrin est fier : son implication dans l’association Pharmacie humanitaire internationale de son département (PHI 35). En dormance depuis la mort de son président, en 2010, les activités locales ont été relancées en 2014, notamment la collecte de matériel médical. « Plutôt que des lits médicalisés, du petit matériel orthopédique, des radios ou des lunettes finissent à la déchetterie, on leur donne une seconde vie auprès de populations qui en ont besoin. »
Initiatives vertes
Ces initiatives reflètent un nouvel état d’esprit de la société, inquiète de l’héritage qu’elle va laisser. Pharmacie Référence Groupe, qui a créé le label pharmacie durable en 2009, a vu une montée en puissance de l’intérêt des pharmaciens fin 2012. « Nous comptions une dizaine de pharmacies labellisées pharmacie durable par an au début. Aujourd’hui, 126 officines ont le label et 238 sont engagées dans la démarche », indique Nathalie Lazaro, responsable qualité pour Pharmacie Référence Groupe.
L’implication du groupement dans le développement durable a d’abord pris place au siège, lors de la mise en place de mesures managériales pour favoriser le dialogue social et éviter les risques professionnels. La réflexion du groupe a inclus la sélection de ses fournisseurs en fonction de leurs engagements éthiques, les façons d’économiser l’énergie et les consommables, le tri des déchets, la sensibilisation des collaborateurs à l’importance de la diététique, la prévention du stress au travail…
Après ce long travail, il a semblé naturel de proposer aux adhérents de développer des solutions similaires dans leur officine. Le label compte trois volets, dont le plus important touche à la santé publique, avec pour objectif d’améliorer la qualité de vie des patients. Vient ensuite un volet social qui promeut la qualité de vie des salariés de la pharmacie, puis le volet environnemental qui pousse les fournisseurs à s’impliquer et l’entreprise à faire attention à sa consommation énergétique. « Pharmacie Référence Groupe n’attribue pas les labels, il accompagne le pharmacien et lui donne les moyens de parvenir à la labellisation. C’est un succès puisque 100 % des pharmacies présentées pour le label l’ont obtenu », souligne Nathalie Lazaro.
Le développement durable n’est pas qu’une tendance et les pharmaciens peuvent s’engager sans crainte qu’un changement de mode balaie leurs initiatives vertes. À chacun de choisir un niveau d’investissement et la rapidité de la mise en œuvre. D’autant que la pharmacie durable n’en est qu’à ses balbutiements.
Selon Élisabeth Laville, fondatrice du cabinet de conseil en développement durable Utopies, le pharmacien pourra un jour choisir des médicaments en fonction de leur profil écologique. Comme en Suède où il existe une classification des molécules selon leur indice de pollution qui sert de support de prescription. L’idée trouve un écho dans les recherches qui montrent désormais des liens clairs entre santé, changement climatique, modification de l’environnement, urbanisation, augmentation et vieillissement de la population***.
** Déchets d’activité de soins à risque infectieux
*** Étude « Changement climatique et santé : nouveaux défis pour l’épidémiologie et la santé publique » parue le 24 novembre 2015 dans le « Bulletin épidémiologique hebdomadaire » (BEH) de l’InVS.