LA CONFÉRENCE de Laurent Alexandre a interpellé les participants et n’a pas manqué de susciter de nombreuses interrogations et réactions, des plus sceptiques aux plus convaincues :
Isabelle Morin, du Laboratoire Biogaran, s’interroge notamment sur la gestion des ressources de la planète si Google parvient à atteindre son objectif de « tuer la mort » : « comment nourrir tous les êtres humains, si tout le monde vit pendant 1 000 ans ? » pointe-t-elle. « En réalité, les acteurs de la Silicon Valley qui sont des "technoptimistes", pensent que la technologie de demain va régler ça, répond Laurent Alexandre. D’ailleurs, on observe que dans les pays où l’espérance de vie est la plus longue, on fait moins d’enfants, donc la population diminue. »
Joffrey Blondel, du groupe Astera, se demande pour sa part « en quoi le médicament pourrait disparaître ? » « Il ne va pas disparaître, mais la valeur de la distribution du médicament va baisser. Ce qui a de la valeur, c’est la manipulation des données, l’algorithme : à qui je dois donner ce médicament, en fonction de son dossier médical, en le comparant avec des centaines de millions de dossiers médicaux et des centaines de millions de génomes », détaille Laurent Alexandre.
Philippe Besset, de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), s’interroge sur ce que va faire le pouvoir politique face à cette évolution. « Ne risque-t-il pas de reprendre la main ? », questionne-t-il. « Il est peu probable que les États-Unis diminuent la puissance des GAFA, qui sont tous américains, au moment où la Chine va devenir menaçante. Au contraire, ils vont promouvoir la puissance de ces sociétés pour maintenir leur avenir géopolitique », estime Laurent Alexandre.
Thierry Chapusot, du groupe Welcoop, pense de son côté que la révolution décrite par Laurent Alexandre « est en route ». « Les systèmes experts n’ont pas de territoire, souligne-t-il. La médecine de demain va pouvoir diagnostiquer grâce à des algorithmes qui pourront être n’importe où dans le monde. Le territoire n’a plus d’importance. Le pouvoir politique n’aura peut-être plus d’importance non plus, du moins pas au niveau de la France ». Pour lui, « Google a aujourd’hui une puissance tellement immense que la motivation de ses dirigeants ne peut pas être l’argent. Leur ambition est de repousser la mort. Le grand danger demain, c’est quand ils seront propriétaires des productions d’énergie. Pour le moment on peut encore débrancher la prise… Mais il faut inciter les pays à maîtriser l’énergie ». Pour Thierry Chapusot « le seul espoir du pharmacien est d’être créatif. Sinon, dans 20 ou 30 ans, il ne sera plus qu’un sous-traitant ».
Bernard Charles, président du Centre d’études et de formation hospitalières (CEFH) et ancien député-maire de Cahors, souligne pour sa part les problèmes éthiques considérables que posent ces avancées technologiques. « Même en Chine, ils réfléchissent à ces questions. Peut-être aurons-nous un jour des principes internationaux de bioéthique », envisage-t-il. Il note également que le système de formation doit changer. « Demain, soit on sera formé, soit on ne le sera pas. Et ce ne sera pas facile, car ce n’est pas actuellement dans les orientations de nos doyens de facultés. »