Les transhumanistes n’auraient-ils pas lu les auteurs de science-fiction des années 1960 ? Nos scientifiques qui proposent d’éradiquer le vieillissement et d’augmenter les caractéristiques physiques et mentales grâce à la biotechnologie sont, en tout cas, en train de les réinventer. L’imagination en moins.
Car les transhumanistes sont moins regardants sur la qualité de leurs futures prouesses qu’ils ne le sont sur la notion de quantité, voués tout entiers qu’ils sont à la démesure. C’est ce que leur reproche en premier lieu le Pr Guy Valancien, chirurgien et membre de l'Académie nationale de médecine (1).
Au cours d’un débat organisé par le Café Nile (2), il dénonce la démarche quantitative des transhumanistes, occupés à augmenter l’Homme, ses capacités tant physiques que mentales. Forçant – à peine – le trait, « on va bientôt relier nos neurones à des ordinateurs, à des caméras de recul », le médecin met en doute la pertinence de telles manipulations. « Je ne m’intéresse pas au prolongement de ma vie de vingt ou trente ans. Pour quel intérêt vouloir ainsi faire vivre les Hommes plus longtemps si c’est pour qu’ils se tapent dessus ? », s'interroge Guy Valancien.
La perte du désir
Une provocation à peine voilée pour souligner l’absurdité de ce transhumanisme forcené autant que l’indulgence dont il jouit. « Aux Jeux Olympiques, dans le cadre des règlements antidopage, on accepte les anabolisants numériques mais on interdit les anabolisants biologiques. On refuse aux nageurs les combinaisons qui imitent les peaux de requins, mais on permettrait de nous augmenter à la petite semaine en payant notre écot à des entreprises qui font fortune sur le sujet, sans savoir où elles vont ? », s’insurge le scientifique.
Car, outre la fuite en avant à laquelle se livrent les transhumanistes, Guy Valancien dénonce cette course non dénuée d’intérêts financiers. Ce « world business du transhumanisme », qui fait rêver certains, précipite, par mercantilisme, l’être humain au bord du précipice ou tout au moins, à l’extrême, au seuil de l’immortalité. Que faire cependant de ce temps gagné si nous ne disposons pas de valeurs ? Par-dessus tout, Guy Valancien redoute la perte du désir, intriquement lié à la notion de temps.
Raison de plus pour tuer le concept selon lequel l’amélioration quantitative de la vie servirait l’humanité. « Ce qui m’intéresse, c’est la densité de ce que je peux avoir et pour cela, il n’existe pas de recette », déclare l'académicien.
Il ne refuse pas pour autant les innovations qui permettront de soulager et de réparer ceux qui subissent maladies, traumatismes physiques, psychiques et sociaux innombrables. Bien au contraire, le chirurgien qui, lui-même, a exploré les capacités télé connectées des instruments, la 3D et le 360 °, appelle à « participer activement et sans état d’âme au développement de l’intelligence artificielle et à la construction des robots ». Seule restriction : ce qu'il propose de nommer l’Homo Artificialis doit être uniquement adapté aux besoins de l’Homme. Pas davantage.
Il y aura toujours un médecin qui guérira
Pour ce faire, il faut, dès aujourd’hui, promouvoir l’éducation nécessaire au développement d'un esprit critique, capable d’arbitrer « au-delà des seules opinions fluctuantes et irrationnelles ». Un esprit critique capable d’anticiper les dévoiements de la technologie tant les tentations de puissance sont liées au désir de longévité, voire d’immortalité.
Nonobstant ces précautions, le transhumanisme transgresserait vers un déshumanisme que d'aucuns s'obstinent à nommer pudiquement posthumanisme ? Interrogé sur l’aspect de cette dérive, le chirurgien se veut rassurant : « Dans le domaine de la santé, il y aura toujours un homme malade et un homme qui le guérira. Bien sûr, la machine aboutira au bon diagnostic certainement mieux que le médecin confronté à une multiplicité d’options, le robot remplacera le chirurgien, l’infirmier et même l’aide soignant. Mais le robot aidera le médecin à récupérer du temps humain, du vrai. »
Dans une logique maintes fois énoncée, l’Académicien prédit ainsi la disparition des spécialistes au profit des disciplines transversales, médecine généraliste, interniste, pédiatrique, gériatrique…
Car si l’homme est capable d’empathie pour le robot, dans sa capacité à développer un étonnant anthropomorphisme envers les objets, ce sentiment ne sera pas réciproque. Il reviendra donc au médecin de gagner la confiance de son patient par l’empathie qu’il sera capable d’éprouver pour lui. « Il faudra apprendre à écouter le malade et non à regarder les écrans », recommande Guy Valancien, pointant du doigt les facultés de médecine qui n’enseignent pas l’empathie. « Nous allons revenir à l’humanisme médical avec tout ce que cela comporte en matière de nouveaux critères de sélection des étudiants en médecine », prédit-il.
Conscience augmentée
Cette analyse ne chasse pas pour autant le spectre d’un transhumanisme inhumain qui lentement s’installe et, demain, deviendra réalité. Pour contrer ce mouvement, Guy Valancien incite à inventer le transhumanisme humain, celui qui amènera l’Homme vers une conscience augmentée parce qu’il se sera posé les bonnes questions, à la manière d’un « qui suis-je ? » de Jacques Monod.
Rassérénés par ces perspectives, on peut alors se surprendre à imaginer un transhumanisme humain. Parce que l’Homme aura envie d’être encore plus humain. Tout simplement.
(1) Auteur du livre « Homo Artificialis », éditions Michalon 2017.
(2) D’après la conférence du Café Nile du 18 janvier 2017. À noter que les organisateurs du café Nile viennent de créer le think tank Asklepios 3.0 destiné à place au cœur du débat public les questions d’éthique entourant la révolution de la médecine génomique et du numérique http://asklepios3-0.fr/les-experts.