Savez-vous que le zolpidem (Stilnox) est éliminé plus lentement chez la femme que chez l'homme ? Et que son action peut donc persister le lendemain de la prise et accroître le risque d’accident de la route ?
Pour cette raison, en 2013, l’agence américaine du médicament (FDA) a demandé aux laboratoires de diviser par deux la posologie du zolpidem recommandée chez la femme (5 mg au lieu de 10 mg chez l’homme). En France, en revanche, rien n’a changé : la posologie est la même, que l’on soit homme ou femme, à 10 mg par jour.
Autre exemple : la desmopressine s’est avérée plus efficace chez les femmes que chez les hommes pour le traitement des adultes atteints de nycturie. Ainsi, le Laboratoire Ferring a lancé un médicament à base de desmopressine (Nocdurna) dans cette indication avec une posologie adaptée au sexe : 25 µg chez les femmes et 50 µg chez les hommes, prise une heure avant le coucher. Le médicament a obtenu son AMM européenne en mai 2016, mais n’est toujours pas commercialisé en France.
Des différences ignorées
Ces exemples de médicaments à la posologie adaptée au sexe sont rares dans le monde et inexistants en France. « Les différences biologiques sont désormais prouvées entre les hommes et les femmes, mais elles sont totalement ignorées, et en premier lieu dans les pays comme la France, l'Espagne et le Royaume-Uni », déplore Claudine Junien, professeur de génétique à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et à l’INRA. En revanche, « plusieurs pays européens, comme l’Allemagne et la Suède, ont déjà adapté leur recherche scientifique et leurs stratégies thérapeutiques, et pris au moins dix ans d’avance par rapport à la France », souligne-t-elle.
Pourtant, cette adaptation de la posologie, voire de l’indication en fonction du sexe, pourrait s’appliquer à bien d’autres traitements.
Par exemple, en prévention cardiovasculaire. L’aspirine protège mieux les femmes de l’AVC, mais davantage les hommes de l’infarctus du myocarde (IDM). Ce constat pourrait mener à privilégier l’aspirine pour les femmes à risque d’AVC et pour les hommes à risque d’IDM. Problème, la majorité des médecins ignorent ces faits. On ne connaît pas non plus les mécanismes d’action qui sous tendes ces différences d'effet selon le sexe, et il faudrait pousser la recherche en ce sens.
La digoxine est un autre exemple édifiant. Lors d’expérimentations animales, son action s’est révélée positive chez les mâles mais plutôt négative chez les femelles. Pourtant, personne n’en a tenu compte lors de la mise sur le marché du médicament, qui est prescrit indifféremment aux hommes et aux femmes dans l’insuffisance cardiaque et la fibrillation auriculaire.
Certaines études ont également montré que les femmes sont plus à risque de saignements avec un traitement anticoagulant (warfarine, activateur tissulaire du plasminogène) que leurs homologues masculins. D’autres ont mis en évidence qu’un traitement par IEC est moins efficace chez la femme, avec des effets secondaires plus fréquents que chez les hommes. Ou encore, que les statines auraient des effets indésirables (myalgies, diabète induit par les statines) plus fréquents chez la gent féminine.
De la génétique à la physiologie
Mais comment expliquer ces divergences ? « Il faut d'abord rappeler qu'il existe des différences génétiques liées aux chromosomes sexuels. Et que les femmes ont 15 à 20 % de gènes de plus qui s’expriment par rapport aux hommes, explique Claudine Junien. Par exemple, le récepteur à la vasopressine, qui se situe sur le chromosome X, est deux fois plus exprimé chez les femmes. Ainsi, la desmopressine, agoniste de ce récepteur, agit deux fois plus dans les problèmes d’énurésie chez la femme adulte. »
Au-delà de la génétique, il existe aussi des mécanismes purement physiologiques : certains gènes, sous l’effet du X et du Y, vont être régulés différemment. C’est le cas de gènes exprimés dans le foie qui sont impliqués dans les mécanismes de métabolisation des médicaments. « Par exemple, le cytochrome P3A4 est plus exprimé chez les femmes. Ainsi, lorsque l’on donne un médicament métabolisé par ce cytochrome, il sera dégradé plus vite chez la femme, commente Claudine Junien. À l’inverse, d’autres cytochromes seront plus actifs chez les hommes. »
Les femmes absentes des essais cliniques
Cette compréhension génétique, physiologique et clinique des différences entre les deux sexes est désormais bien connue et ne doit pas être négligée. Elle permettra de faire évoluer la thérapeutique vers une « médecine sexuée », en adaptant les posologies aux femmes, tout du moins pour certains principes actifs. Tandis qu’aujourd’hui, les doses ne sont adaptées que pour l’homme. L'état de la recherche en est la preuve. Seulement 20 % des expérimentations animales se font sur des femelles et seulement 30 % de femmes participent aux essais cliniques humains. En règle générale, ce biais pose peu de problèmes car la très grande majorité des mécanismes biologiques sont similaires chez l’homme et la femme. Mais en incluant davantage de femmes dans les essais cliniques, on pourrait objectiver des données épidémiologiques qui étaient jusque-là invisibles, car biaisées par le sexe.
Mais il faut considérer le fait que les femmes en âge de procréer sont peu recrutées pour écarter d’évidents risques de tératogénicité ou de toxicité fœtale. Ainsi, pour participer à un essai clinique, les femmes doivent être sous contraception. Mais une contraception hormonale peut aussi être un critère d’exclusion en raison de risque d’interactions médicamenteuse. Pourtant, affirme Claudine Junien, « il est possible d'ouvrir davantage les essais cliniques aux femmes. Notamment aux femmes ménopausées qui pourraient participer facilement à la recherche, dans les pathologies cardiovasculaires, dont l’AVC, désormais première cause de mortalité chez la femme en France ».