LA NOUVELLE rémunération passe mal. Environ 6 pharmaciens sur 10 n’y voient pas beaucoup d’intérêt, selon une enquête réalisée par la société Call Medi Call et présentée à l’occasion de la Journée de l’économie de l’officine. « Les résultats de ce sondage ne m’étonnent pas », indique Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Pour lui, ils ne reflètent ni plus ni moins que les conséquences de l’impact massif sur l’économie des officines de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2014. Car les effets des éléments conventionnels signés en 2012 pour atténuer les mesures de cette LFSS s’amenuisent. D’autre part, souligne le président de la FSPF, la nouvelle rémunération n’étant pas encore en place, il paraît difficile d’en apprécier aujourd’hui la portée réelle. Seul signataire avec l’assurance-maladie de l’avenant à la convention pharmaceutique prévoyant l’instauration d’un honoraire par boîte dispensée, Philippe Gaertner tient à rappeler que depuis deux ans, aucun nouvel élément permettant de stabiliser l’économie de l’officine n’a été introduit. Et de reconnaître, comme certains lui reprochent, que l’accord ne permet pas de détacher suffisamment la rémunération des volumes dispensés. « L’État et l’assurance-maladie n’ont pas voulu, pour des raisons techniques, aller sur un honoraire à l’ordonnance, comme nous le souhaitions », se défend le président de la FSPF. Toutefois, précise-t-il « plus on s’éloigne de la boîte comme référence, plus le risque de répercussions sur le réseau est grand. Une telle évolution nécessite donc beaucoup de prudence en période de décroissance. » Mais les choses pourraient bouger à l’avenir, la mise en place de l’honoraire à la boîte n’étant qu’une première étape, assure Philippe Gaertner : « L’important pour nous était d’engager cette évolution du mode de rémunération. » Et de faire remarquer que, au-delà de l’honoraire, toute une série de mesures ont, depuis 2012, déjà réformé profondément le mode de rémunération des officinaux, tels que les rémunérations sur objectif de santé publique (ROSP), ou l’accompagnement des patients sous AVK. Le développement des ventes directes, où dès lors la capacité d’achat est devenue un élément majeur de l’équilibre de l’entreprise, a également changé la façon d’être rémunéré.
Quoi qu’il en soit, au 1er janvier 2016, 47 % de la rémunération des pharmaciens sera mixte : des honoraires de dispensation seront associés à la marge commerciale (voir encadré). Une évolution indispensable aux yeux du président de la FSPF, car les projets de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) à venir continueront de rogner sur les prix des médicaments, et donc de dégrader l’économie de l’officine. Si rien n’est fait. Car déconnecter en partie la rémunération des prix, permet justement d’atténuer les pertes. « Nous sommes en train de passer d’une logique de marge commerciale exclusive à une logique de rémunération diversifiée », résume Philippe Gaertner. Quant au capage de la marge pour les produits dont le prix dépasse 1 500 euros, il répond aux interrogations formulées par l’Inspection générale des finances (IGF) qui reproche, par exemple, aux notaires de bénéficier d’une rémunération liée à la valeur des biens qu’ils aident à vendre ou acheter. « Les évolutions de notre rémunération correspondent aux attentes de certains observateurs économiques », relève le président de la FSPF.
Un accord à revoir.
À l’inverse, Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), n’en démord pas, « la rémunération liée à la boîte n’a aucun sens ». « Pour nous, le pharmacien n’est pas qu’un simple logisticien, insiste-t-il. La rémunération du pharmacien doit se détacher du médicament et être davantage liée aux nouvelles missions. » L’accompagnement des patients sous AVK est un premier exemple, en attendant le suivi de malades asthmatiques et peut-être ceux sous traitement substitutif aux opiacés, comme le souhaite l’USPO. Et son président en est convaincu, « si l’ensemble des syndicats avaient refusé de signer l’accord, l’assurance-maladie aurait reculé sur l’honoraire à la boîte ». « Cette piste doit être révisée », affirme-t-il. Toutefois, l’arrêté d’approbation serait dans les tuyaux et la nouvelle rémunération devrait bel et bien voir le jour le 1er janvier 2015. N’empêche, Gilles Bonnefond souhaite tout faire pour que l’accord sur l’honoraire ne s’applique pas et en négocier un autre, avec l’État celui-là. En effet, argumente-t-il, cet accord n’engage que l’assurance-maladie. Du coup, le gouvernement et le comité économique des produits de santé (CEPS) n’ont aucun scrupule à continuer d’éroder la marge des pharmaciens, via des baisses de prix notamment. « On ne peut pas réformer l’officine avec une enveloppe qui va fondre comme neige au soleil », martèle le président de l’USPO. Cependant, un aspect le rassure, la mise en place de l’honoraire de dispensation en deux étapes. « Nous devons trouver un accord qui associe davantage la rémunération à l’ordonnance, en particulier pour celles qui ne sont pas suffisamment rémunératrices, et qui vont se développer, estime-t-il. La croissance, elle, viendra des missions nouvelles d’accompagnement des patients. Mais on doit aussi pouvoir être de meilleurs acheteurs. » « Le rôle d’acheteur n’est-il pas trop chronophage pour les officinaux, alors qu’il existe des groupements pour cela ? » demande Jean-Christophe Lauzeral, directeur général de Giropharm. « Le pharmacien seul ne peut en effet assurer cette tâche, répond Gilles Bonnefond. Pour nous, il faut renforcer la capacité de négociation du pharmacien. Les groupements, ou d’autres structures, peuvent bien sûr l’y aider. La mutualisation des achats est indispensable aujourd’hui. »
Pas de gain à attendre.
Autre non-signataire de l’accord, l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) plaide également en faveur d’un honoraire à l’ordonnance, seul susceptible de déconnecter la rémunération des volumes. Cet accord « a le mérite d’exister, mais n’apporte pas une réponse adéquate aux problèmes économiques actuels », estime Denis Trouillé, chargé de l’économie à l’UNPF. En tout cas, aucun gain n’est à attendre pour le réseau, l’instauration de l’honoraire s’accompagnant d’une modification de la marge dégressive lissée (MDL). « Il y aura même des perdants, craint Denis Trouillé, alors même que la logique était que chaque pharmacien soit gagnant. » Pour lui, cette réforme de la rémunération ne peut pas aboutir sans une remise en cause du fonctionnement de la Sécurité sociale. Le responsable de l’UNPF pointe une gabegie qui, si on y mettait fin, permettrait de générer des économies. Par exemple, détaille-t-il, la Sécu dépense 1,5 milliard d’euros pour rembourser aux assurés sociaux 300 millions d’euros. De même, il propose d’étudier une rémunération du pharmacien sur les soins de premier recours, source d’économies grâce aux consultations médicales évitées. L’UNPF propose aussi un honoraire de responsabilité sur les produits chers et innovants, dont le coût serait assumé par les laboratoires en échange de retours d’informations sur l’observance et le suivi des traitements réalisés par les pharmaciens. Mais pour l’heure, le syndicat estime que la nouvelle contribution demandée au médicament dans le cadre du PLFSS pour 2015 confirme bien que le principe de l’honoraire à la boîte est « inapproprié, contre-productif et délétère pour l’économie de l’officine ».
Faux, rétorque en substance Philippe Gaertner dans un récent entretien avec « le Quotidien » (notre édition du 16 octobre). « Le nouveau mode de rémunération atténue les effets des baisses de prix et de maîtrise médicalisée, même s’il n’est pas encore assez déconnecté des volumes, assure le président de la FSPF. Celui-ci va aussi redonner un peu d’argent au circuit. Autrement dit, le pire du pire serait de ne pas avoir les effets bénéfiques de la nouvelle rémunération, tout en ayant les effets négatifs des mesures d’économies. Ce serait la catastrophe. »