LOIN de toute rationalité, les réactions des individus sont des conséquences de la perception et des interprétations que chacun peut avoir en fonction de sa culture et de ses expériences personnelles. « La notion d’observance n’est pas très appréciée par les anthropologues car, de notre point de vue, il n’y a pas de bon ou de mauvais usage du médicament, il n’est pas dans notre rôle de nous prononcer. Or la notion même d’observance nous place du côté des professionnels de santé », précise Sylvie Fainzang. Anthropologue spécialisée en santé et directrice de recherche à l’INSERM, ses thèmes de recherches privilégiés touchent à la consommation pharmaceutique et l’observance, les normes et déviance dans le champ de la santé, l’information du patient, le mensonge dans les relations médecins-malades. « La mauvaise observance repose sur des raisons très diverses comme la négligence, l’oubli, le refus du traitement, la remise en question des compétences du soignant, etc. », poursuit Sylvie Fainzang, invitée à l’ouverture de la 27e Journée de l’Ordre des pharmaciens.
Pour illustrer ses propos, l’anthropologue cite des exemples. Celui d’une femme, normande, catholique, atteinte d’un cancer des poumons, non fumeuse, qui, persuadée que sa pathologie vient des très mauvaises relations avec sa belle-mère qui lui « envoie des ions négatifs », quitte l’hôpital pour trouver une méthode de soins qui lui « envoie des ions positifs ». Celui d’une adolescente qui a des relations difficiles avec son père et reçoit souvent des gifles, à qui le médecin diagnostique une otite, et qui ne prendra jamais ses médicaments car elle est certaine que sa douleur à l’oreille vient des gifles reçues. « Dans les deux cas, il n’y a pas de conformité entre le diagnostic du médecin et la perception du patient, c’est pourquoi il n’y a pas observance du traitement. » Autre exemple, celui d’un homme musulman qui ressort de chez son cardiologue avec une ordonnance, qu’il décide de porter sur son cœur. « Ce n’est ni une négligence, ni un oubli, ni un refus de traitement, il ne remet pas en cause la parole de son médecin, bien au contraire, il a une grande déférence pour l’ordonnance mais il a une autre interprétation de ce qu’il doit en faire. »
Comportements collectifs.
Par ailleurs, il existe des comportements collectifs selon sa culture. Ainsi l’image des psychotropes est différente selon l’origine religieuse. Si les catholiques les considèrent comme des médicaments « qui ensuquent », les musulmans craignent leurs effets néfastes sur le comportement social et sur le cœur « siège de la vie spirituelle et morale ». Les protestants ont plutôt peur de la dépendance qu’ils peuvent induire, tandis que les juifs s’inquiètent de perdre la mémoire, valeur cardinale de leur religion. « De la même façon, le rapport à l’automédication est conditionné par la culture. Pendant longtemps l’automédication a été dissimulée en France, dans le secret du domicile et sans en informer le médecin car cette pratique était vécue comme une transgression », rappelle Sylvie Fainzang. La pratique évolue désormais car elle est promue par les pouvoirs publics, mais il n’en reste pas moins de fortes empreintes culturelles dans les façons de faire. « L’individu est un être de culture, ses comportements sont très fortement influencés par tout ce qui le construit, que ce soit la culture, l’époque, le groupe ou la société à laquelle il appartient. »