LA HANTISE des pharmaciens, qui les incitent à lancer ces jours-ci une large campagne de communication sur le thème « arrêtez de plumer les pharmacies », provient d’une réforme de la marge des grossistes, qui sera remplacée, le 1er janvier, par un honoraire de 60 centimes plus 1,7 % par boîte, réforme destinée à faire économiser 500 millions d’euros par an à l’assurance-maladie. Les grossistes ont déjà annoncé que cette somme, qui correspond à plus du double de leur bénéfice total, ne pourrait être payée qu’en réduisant drastiquement les remises consenties aux pharmacies. Celles-ci perdront donc ainsi 500 millions d’euros, soit 23 000 euros par officine, les plus petites étant bien sûr les plus dramatiquement touchées, car ce montant affectera directement les revenus des titulaires, qui oscillent actuellement entre 70 000 et 80 000 euros par an, pour un chiffre d’affaires moyen de 1,8 million. Les pharmaciens se battent donc pour obtenir la suppression de cette mesure, et incriminent les grossistes qui répondent, eux, que c’est le gouvernement qui est responsable de cette situation… et qu’il n’est pas dans leur intérêt de ruiner les pharmaciens qui sont leurs clients.
En attendant, les pharmaciens alertent les politiques et les décideurs, envoient des courriers et des mails et apposent des affiches dans leurs officines. Ils redoutent d’avoir à supprimer certains services, y compris les gardes de nuit ou de week-end, pour des raisons d’économie. Ils distribuent des badges et des cartes postales avec le même slogan, et espèrent encore une modification de la réforme, qui doit être définitivement adoptée dans les semaines à venir.
Contexte morose.
Cette réforme s’inscrit, de plus, dans un contexte déjà morose, avec un nombre croissant de pharmacies dont les revenus stagnent ou baissent. Actuellement déjà, près du quart des titulaires gagnent moins dans leur officine, que ce qu’ils gagneraient s’ils étaient adjoints dans une pharmacie ne leur appartenant pas. Cette ambiance était palpable lors du salon Expopharm, certes toujours très fréquenté, mais moins coloré que d’ordinaire, les exposants se montrant eux aussi plus parcimonieux que d’habitude en animations et en cadeaux… Cette année, les stands des grands groupements et d’organismes de gestion semblaient particulièrement visités, avec notamment de nombreux séminaires destinés à aider les pharmaciens à traverser les moments difficiles.
En outre, certains exposants illustraient particulièrement bien l’esprit du moment, à l’image des pharmacies easy apotheke, qui connaissent un développement rapide dans le pays. Ces officines, franchisées et standardisées, n’ont pas honte du surnom de « ALDI du médicament » dont elles sont souvent affublées. Basiques et gaies comme des magasins hard discount, elles feraient presque passer les enseignes françaises cassant les prix pour de luxueuses boutiques de mode. Elles axent toute leur stratégie sur les prix bas, au mépris de toute chaleur et de toute ambiance : « en France, explique un commercial du groupe, on fait encore ses courses avec ses sens, mais ici, seul le prix compte : c’est peut-être dommage, mais ce sont deux mentalités différentes. » En attendant, les easy apotheke sont déjà 54 aujourd’hui, et poursuivent leur progression rapide, en particulier à Berlin et dans le nord du pays. Plébiscité par certains, mais totalement rejeté par d’autres, le modèle easy apotheke voisinait au salon avec d’autres types d’officines groupées, avec des sensibilités comparables aux nôtres : certains groupements privilégient clairement la notion d’enseigne et proposent, outre les prestations, des signalétiques et des logos communs, mais d’autres restent au contraire attachés à la persistance des noms et du décor propre à chaque officine.
La concurrence des pick-up.
Si le congrès des pharmaciens a abordé, comme chaque année, tous les grands sujets de la politique professionnelle, il est largement revenu sur le problème des pick-up, ces dépôts d’ordonnances dans les drogueries, jumelés à des pharmacies situées en général en Hollande pour des raisons de prix. Le système, certes encore peu développé, invite les patients à déposer leurs ordonnances dans les drogueries participantes, lesquelles les font honorer dans leurs pharmacies partenaires, puis à revenir chercher leurs produits à la droguerie, qui les leur vend ainsi moins cher qu’en officine. Les pharmaciens avaient laborieusement réussi à faire interdire les pick-up au printemps dernier, pour des raisons de sécurité… avant qu’ils ne soient à nouveau autorisés, cette fois pour des motifs juridiques, quelques semaines plus tard. Mais la profession, au-delà des déclarations d’intention, se montre divisée sur le sujet.
Alors que les syndicats et l’Ordre, réunis au sein de l’association fédérale des pharmaciens (ABDA) ont réclamé une nouvelle fois une interdiction totale des pick-up, le plus gros groupement indépendant d’officines, Linda, fort de 1 300 grandes pharmacies, a annoncé il y a quelques jours sa décision de se lancer dans cette activité. En pratique, les clients des pharmacies Linda pourront, s’ils le désirent, déposer leurs ordonnances dans une de ces officines, laquelle commandera les produits auprès de la pharmacie hollandaise Montanus, et les tiendra à leur disposition 48 heures plus tard. Les clients payeront ainsi leurs médicaments, y compris prescrits, au tarif hollandais et non allemand, grâce à la différence de 13 points de TVA entre les deux pays. Ils pourront ainsi économiser 10 euros par boîte, c’est-à-dire le montant actuel de la participation des assurés à la plupart des prescriptions. Par contre, ils seront bien sûr immédiatement servis s’ils achètent le médicament allemand disponible sur place. Pour les responsables de Linda, ce système correspond à une vraie demande et évitera au patient d’aller acheter des médicaments sur Internet, ou dans les drogueries qui font du pick-up selon les mêmes règles ; pour l’Ordre et les syndicats, au contraire, cette pratique purement commerciale dessert l’ensemble des pharmaciens. De plus, comme pour ajouter au malaise, les organisations pharmaceutiques officielles regroupées au sein de l’ABDA ont découvert il y a quelques jours que les logiciels utilisés par Linda pour développer les pick-up lui avaient été vendus… par une société dépendant justement de l’ABDA, ce qui a été l’occasion d’un vigoureux lavage de linge sale en famille à la veille du congrès.