BIEN que considérées généralement comme « annexe », ce qu’il est convenu d’appeler les médecines alternatives et complémentaires (MAC) rencontrent l’intérêt des patients atteints de cancer. De fait, il ressort d’une enquête réalisée au Canada que 85 % des parents dont les enfants étaient atteints de cancer utilisaient des MAC (34 % des compléments nutritionnels, 25 % des plantes), alors qu’ils étaient « seulement » 73 % à accepter que leur enfant soit inclus dans un essai clinique.
Une autre enquête, réalisée cette fois chez des patients en hôpital de jour à l’Institut Gustave Roussy, a montré que 58 % de ces derniers prenaient des antioxydants, oligo-éléments et/ou des vitamines (sélénium, thé vert, vitamines A, C, E, gingembre, zinc…), 9 % des compléments alimentaires (oméga-3…), 45 % recouraient à des techniques de massage, d’acupuncture ou de relaxation et 36 % à l’homéopathie. Et ce, bien souvent sans en informer leur oncologue… De plus, selon une autre étude menée par l’Université de Columbia, 86 % des patients ont une bonne ou une très bonne opinion des MAC.
Le fait que certaines de ces MAC puissent ne pas être anodines, justifie cependant que le pharmacien exerce une nécessaire vigilance à leur égard, dès lors qu’il en a connaissance (d’où l’importance de nouer des relations de confiance et de dialogue avec les patients), quitte à en informer l’oncologue.
Être davantage acteur de son traitement : mais à quel prix ?
Il faut avoir conscience que cinq raisons sous-tendent dans l’esprit des patients le recours aux MAC, souligne le Dr François Lemare (chef du département de Pharmacie clinique de l’Institut Gustave Roussy à Villejuif) : « pour tout mettre en œuvre », « pour contrôler le stress ou la maladie », « pour améliorer la qualité de vie », « pour réduire les effets indésirables », voire parfois « pour guérir ».
Hélas, un certain nombre de dangers bien réels menacent potentiellement le patient : le risque d’effets indésirables, la problématique des approvisionnements peu ou non contrôlés (essentiellement les achats sur Internet, éventuellement de produits à la qualité non contrôlée, voire carrément contrefaits, ou de produits dont la vente est interdite en France en raison de dangers avérés) voire le risque de « sortie de route », autrement dit la suspension du traitement en cours.
Une autre éventualité à prendre en compte est le risque bien réel d’interactions médicamenteuses, même si les plantes, voire les tisanes pour aider à dormir, paraissent sans danger. C’est ainsi, par exemple, que les huiles de poisson, l’ail, le pamplemousse et la L-arginine diminuent l’effet immunosuppresseur des corticoïdes et de la ciclosporine, tandis que la réglisse, la luzerne, le millepertuis, la vitamine E et le zinc l’augmentent et que la myrtille, le saule blanc, le peuplier et le trèfle rouge majorent l’hépatotoxicité du méthotrexate.
Il faut également avoir présent à l’esprit que les inducteurs des cytochromes P450, et tout particulièrement du 3A4, comme le millepertuis, diminuent considérablement l’exposition aux inhibiteurs de tyrosine kinase ainsi qu’à d’autres anticancéreux, comme l’irinotécan.
En pratique, cela doit conduire au conseil de portée générale d’éviter de consommer du jus de pamplemousse et du millepertuis. Enfin, sans épuiser le sujet, même le thé vert ou la vitamine C sont susceptibles de diminuer l’activité de certains produits, comme par exemple le bortézomib (médicament majeur du myélome) et le sunitinib (cancer du rein).
Quelques situations cliniques fréquentes.
L’intervention de l’officinal peut se révéler également précieuse dans le cadre de traitements de supports « conventionnels ». Dans l’antalgie, assurée largement par des opioïdes, par nature constipants, il ne faut pas oublier de vérifier qu’un laxatif a été prévu et prévenir le patient que la survenue de nausées/vomissements (un patient sur deux a des vomissements significatifs) en début de traitement, s’estompent après une dizaine de jours (métopimazine, dompéridone, métoclopramide). Et que la prise de morphinique doit être régulièrement réévaluée.
Les nausées et vomissements liés aux chimiothérapies sont en principe bien contrôlés par les traitements actuels (sétrons), sous réserve d’en bien respecter les modalités de prescription. Il faut aussi se souvenir que leur administration sous forme de lyophilisats oraux n’implique pas obligatoirement une absorption sublinguale et donc une action très rapide.
Les mucites restent un problème important (allant d’une simple gêne à l’alimentation à l’impossibilité de manger), surtout en oncohématologie et en cas d’irradiation ORL, d’autant plus que très peu de moyens ont fait la preuve de leur efficacité, mis à part les classiques bains de bouche bicarbonatés et les conseils d’hygiène bucco-dentaire. À noter, néanmoins la nouveauté intéressante représentée par le laser basse fréquence (séance quotidienne de 20 minutes), qui est capable de diminuer l’incidence des mucites et d’en réduire la durée.
Enfin, la survenue d’une neutropénie au cours de la chimiothérapie doit faire l’objet d’un dépistage précoce. Attention aux fièvres masquées par la prise de paracétamol. Il convient de ne pas perdre de temps pour faire réaliser une numération formule sanguine en utilisant en pratique des ordonnances préétablies. Enfin, il faut aussi veiller au bon respect de l’utilisation des facteurs de croissance hématopoïétiques (G-CSF), dont les modes de conservation et les posologies différent d’un produit à l’autre.
Fiches pratiques disponibles sur le site de l’Association Francophone pour les Soins Oncologiques de Support : www.afsos.org