Professeur à Essen, Manfred Schedlowski a introduit son propos par une anecdote pittoresque : un jour, suite à un chagrin d’amour, un étudiant éploré avale une trentaine de comprimés d’antidépresseurs qu’il a trouvés dans sa résidence universitaire. Aux urgences, où il est emmené inconscient, les médecins découvrent qu’il a en réalité absorbé des placebos destinés à une étude… Peu après, l'étudiant retrouve rapidement ses esprits. Les histoires de ce genre ne manquent pas, mais le plus étonnant est que des effets placebo peuvent même être observés grâce à l’imagerie cérébrale, par exemple pour certains antiparkinsoniens. De même, on sait qu’un placébo vaut parfois mieux que rien du tout : pendant la guerre, explique-t-il, les chirurgiens américains en distribuaient à leurs blessés quand ils n’avaient plus de morphine… et cela les soulageait.
Mais l’économie joue-t-elle aussi un rôle dans l’effet placebo ? Deux groupes de patients furent emmenés plusieurs jours en montagne pour tester un médicament contre le mal d’altitude. La moitié d’entre eux reçurent un médicament dont on leur indiqua le prix, assez élevé, et les autres obtinrent un produit identique, mais bien moins cher. À l’issue du séjour, les patients ayant pris le traitement le plus cher affirmèrent avoir mieux supporté ce séjour que les autres. En réalité… les patients des deux groupes avaient tous reçu le même placebo.
Le ratio économie/efficacité
Plusieurs études confirment que le fait de mettre en avant le caractère bon marché d’un médicament peut le dévaloriser aux yeux des patients, alors qu’un médicament « cher » bénéficie en général d’un a priori plus favorable. En outre, les prescripteurs comme les pharmaciens doivent tenir compte de l’effet nocebo, c’est-à-dire de l’idée qu’un médicament peut faire plus de mal que de bien. Là aussi, les études sont parlantes : des pharmaciens ont délivré un médicament à des patients, en disant à certains d’entre eux que « c’est un produit formidable qui va vous faire du bien ». Ils ont fourni le même produit à d’autres patients, mais en disant « j’espère qu’il marchera, mais je n’en suis pas certain ». Les patients ayant reçu une distribution « positive » ont beaucoup mieux réagi au médicament que ceux l’ayant reçu avec un avis plus hésitant.
Dans ces conditions, poursuit le Pr Schedlowski, les pharmaciens doivent intégrer ces notions dans leur discours lors des délivrances : plus le conseil est détaillé et positif, mieux le médicament sera consommé et perçu. Dès lors, une question intéressante peut se poser par rapport aux ventes les plus « discountées », notamment par correspondance : l’un des présidents honoraires de l’ABDA, Hans-Günther Friese, se demande si le fait d’acheter un médicament en ligne, donc avant tout pour des raisons de prix, et sans conseil personnalisé, peut contribuer à le rendre « moins efficace ». En d’autres termes, l’économie réalisée lors de l’achat par le patient ou sa caisse de maladie n’en serait finalement pas vraiment une. Une question qui mérite d’être creusée, admet l’orateur, même si l’on n’a pas encore mené à ce jour d’études de grande échelle sur la variabilité des effets placebo entre l’officine et les ventes en ligne…