LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. - Quel regard portez-vous sur la journée de mobilisation du 30 septembre dernier ?
PHILIPPE GAERTNER. – Je tiens à remercier l’ensemble des confrères d’avoir répondu au mot d’ordre de fermeture. Car nous sommes dans un contexte économique et politique à haut risque, même si des propos apaisants ont été tenus par les ministres chargés de la Santé et de l’Économie. Il était indispensable de montrer l’état d’exaspération de notre profession. La plupart des confrères essaient de bien faire leur métier, de s’adapter aux évolutions. Ce sentiment d’injustice et de non-reconnaissance s’est traduit le 30 septembre par une fermeture de la quasi-totalité des officines et par l’organisation de nombreuses manifestations en région.
Si le projet sur la croissance et le pouvoir d’achat, qui devrait être présenté en conseil des ministres fin novembre, ne correspond pas aux attentes des professionnels libéraux, l’UNAPL** prévoit d’appeler de nouveau à manifester à Paris. Êtes-vous prêt à vous joindre à ce mouvement ?
Tout à fait. Chacun doit prendre ses responsabilités. Il y a eu le temps de la concertation avec le gouvernement, puis viendra le temps du débat parlementaire autour du projet de loi. Sur certains sujets, les choses semblent aller dans le bon sens en ce qui concerne notre profession, mais rien n’est clairement dit, et encore moins écrit. Il nous faut rester vigilants et mobilisés. Pour l’heure, nous maintenons nos deux mots d’ordre. Le premier est de continuer à faire signer les pétitions, et le second est de laisser en place les affiches, notamment celle de l’Ordre des pharmaciens. Cela montre notre capacité à faire passer par nos vitrines un message. Et une affiche qui fait 1,20 m de large apposée sur 22 500 vitrines, cela représente près de 30 km d’affichage…
Que pensez-vous de la nouvelle campagne lancée par Michel-Edouard Leclerc pour demander le droit de vendre des médicaments ?
Je n’ai jamais douté de sa combativité ni de sa capacité de financement, notamment pour investir massivement dans la publicité télévisuelle. Peut-être aussi que M. Leclerc est moins sûr aujourd’hui de pouvoir vendre des médicaments dans ses hypermarchés à très court terme. Notre ministre de tutelle a remis au centre des débats les risques pour la santé publique. Il ne faudrait pas que, sous prétexte de lui faire gagner quelques centimes, on mette la population en danger.
Que pensez-vous du « nettoyage » de la liste des AMM proposé par Marisol Touraine ?
Pour nous, le monopole pharmaceutique concerne le médicament, et rien d’autre. Avec le temps, des événements peuvent amener à faire évoluer la situation, telle une modification de la définition du médicament - comme cela est arrivé il y a quelques années -, ou l’arrivée sur le marché de produits innovants. Mais cela, c’est le rôle des agences. Pour nous, c’est clair, si un produit justifie d’une AMM, il doit être obligatoirement dans le circuit pharmaceutique pour des raisons de sécurité, de lutte contre la contrefaçon et de parcours de soins. C’est une ligne à ne pas franchir.
Y a-t-il d’autres lignes à ne pas franchir, selon vous ?
L’organisation de l’officine en France repose sur un trépied. Il faut bien comprendre que si vous raccourcissez l’une des pattes, il ne tient plus ! Sauf à raccourcir les deux autres. Par exemple, en ce qui concerne le capital, nous restons fermement opposés à l’entrée d’investisseurs étrangers à la profession. Toutefois, nous sommes favorables à une évolution de la loi de façon à faciliter la transmission des officines. Mais il ne faut pas se laisser leurrer, faciliter l’installation, ne passe pas par l’arrivée de capitaux extérieurs. L’investisseur n’est pas là pour se préoccuper de la santé. Son unique objectif est le retour sur investissement. Je ne suis pas sûr non plus que l’entrée dans le capital d’autres professionnels de santé aboutisse à la croissance recherchée, mais plutôt à une augmentation des dépenses de santé. En revanche, la prise croisée de capitaux dans le domaine de la santé peut présenter un intérêt pour ce qui relève des actions coordonnées (éducation thérapeutique, coopération interprofessionnelle), où il n’y a pas de risque de compérage.
Êtes-vous prêts à faire évoluer les règles en matière d’implantation territoriale des officines ?
L’environnement bouge et il ne s’agit pas de rester figé. Mais j’ai quand même un peu de mal à comprendre comment d’un côté on peut nous dire qu’il faut libérer l’installation des pharmacies, et de l’autre que leur nombre est trop important en France. Je pense qu’il existe de meilleurs systèmes à mettre en œuvre, tels que faciliter les regroupements, les procédures de rachat/fermeture pour les zones surdenses, ou encore assouplir les règles des transferts. On peut faire évoluer le dispositif intelligemment et dans l’intérêt des patients, sans tout bouleverser pour des raisons dogmatiques et qui ne dégageront pas un euro de croissance.
Vous vous opposez également à la création de plate-formes de vente en ligne de médicaments, comme le préconise Bercy ?
Ce que nous soutenons, avec l’Ordre des pharmaciens, c’est l’idée de permettre la mutualisation de la partie logistique entre plusieurs pharmacies. Il s’agit pour nous d’offrir la possibilité à l’ensemble des confrères de proposer à leurs patients des médicaments sur Internet à prix compétitifs. Nous sommes dans une logique de sous-traitance à un autre pharmacien, à l’image de ce que les officinaux font déjà pour les préparations magistrales. En pratique, la commande arrive à la pharmacie, le pharmacien la contrôle, la prépare et la libère, mais la mise en paquet et l’envoi sont centralisés.
Attention, toute cette agitation autour du projet de loi sur les professions réglementées ne doit pas occulter deux autres projets législatifs très importants pour l’officine : l’un sur l’organisation de la santé et l’autre sur le financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2015, dont l’impact financier sera excessivement fort sur la chaîne du médicament.
À combien justement estimez-vous les conséquences sur l’économie des officines du budget de la Sécu pour 2015 ?
Les économies attendues sur les baisses de prix et les mesures de maîtrise médicalisée s’élèvent de 1,6 à 1,7 milliard d’euros en PFHT. Ce qui représente une perte pour le réseau d’au moins 400 millions d’euros, soit environ 18 000 euros par officine. Déjà, pour l’année 2014, l’effet structure n’est pas au rendez-vous, ce qui alourdit la note par rapport au cadrage conventionnel prévu. Et pour 2015, les chiffres retenus par l’assurance-maladie ne sont pas non plus conformes au cadrage. Les perspectives sont par conséquent inquiétantes.
Cela peut-il remettre en cause la nouvelle rémunération qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2015 ?
Absolument pas. Bien au contraire, puisque le nouveau mode de rémunération atténue les effets des baisses de prix et de maîtrise médicalisée, même s’il n’est pas encore assez déconnecté des volumes. Celui-ci va aussi redonner un peu d’argent au circuit. Autrement dit, le pire du pire serait de ne pas avoir les effets bénéfiques de la nouvelle rémunération, tout en ayant les effets négatifs des mesures d’économies. Ce serait la catastrophe. D’ailleurs, elle entrera bien en vigueur au 1er janvier 2015, les arrêtés d’approbation étant proches de leur parution, certains ministres les auraient, à ma connaissance, déjà signés.
** Union nationale des professions libérales.