« Je suis une vieille dame qui vient vous présenter le travail de son papa, le dessinateur Jacques Faizant. » C'est appuyée sur une canne, et mimant l'un des personnages fétiches du célèbre dessinateur que Sylvie Rosenzweig débute sa soutenance de thèse.
Une thèse remarquable à de nombreux égards. Par le profil de la doctorante d'abord. Car si l'officinale, qui a cédé son officine parisienne il y a deux ans, goûte déjà les joies d'une retraite méritée, elle ne s'endort pas ! Comme il n'est jamais trop tard pour bien faire, Sylvie Rosenzweig a en effet décidé de terminer un travail entamé en 1977, soit plus de 40 ans plus tôt, alors qu'elle décrochait son diplôme de pharmacien. « Cette thèse est d'abord dédiée à mes parents qui rêvaient pour moi du titre de docteur », confie notre consœur. En 1977, la soutenance de thèse n'était pas exigée au sortir des études.
Pharmacie de 1re classe
Mais le travail, présenté dans le cadre prestigieux de la salle des actes de la faculté de Paris V sous le regard bienveillant des maîtres de la pharmacie, est aussi remarquable par son sujet. Intitulé « Jacques Faizant et l'univers pharmaceutique », la thèse de Sylvie Rosenzweig s'intéresse au parcours graphique du dessinateur dont la carrière a véritablement décollé en 1960 dans les pages du « Figaro ». Mort en avril 2006, Jacques Faizant a laissé derrière lui quelque 50 000 dessins, dont beaucoup entretiennent un rapport étroit avec la pharmacie ou le médicament. « Parallèlement à ses dessins humoristiques et politiques, Jacques Faizant croque aussi pour la publicité… Notamment pharmaceutique », explique Sylvie Rosenzweig. C'est notamment autour de cette production graphique que s'est penchée la thésarde. Mais pas seulement. Dans une première partie, intitulée « profession pharmacie », Sylvie Rosenzweig a exhumé de nombreux dessins figurant le décor des pharmacies d'antan. « On lit souvent au fronton de ces officines la mention "Pharmacie de 1re classe" », souligne-t-elle. Au fil des dessins, l'occasion lui est donnée de rappeler les étapes qui ont marqué l'histoire des pharmaciens et de leur formation. Car c'est bien là le double objet de cette somme attentive : un prétexte pictural comme support à un travail historique. Toutes les compétences des apothicaires d'autrefois et des pharmaciens d'aujourd'hui y passent : la mycologie, l'herboristerie, la biologie (séparée en 1975 du métier de pharmacien)…
La Marianne au comptoir
La pharmacie en politique ? Pour Jacques Faizant, ce serait plutôt la politique en pharmacie. Car le dessinateur choisit bien souvent le comptoir d'une officine pour accueillir la Marianne nationale, porteuse de tous les messages… mais aussi le général de Gaulle, Jacques Chirac, Philippe Seguin ou encore le radical de gauche (et pharmacien) Robert Fabre !
Enfin, pour terminer ce panorama pictural autour de l'œuvre de Jacques Faizant, la dernière partie de l'ouvrage fait la part belle à l'histoire de la publicité pharmaceutique et médicale. Le Magnoscorbol, l'Eucalyptine Lebrun, mais surtout l'irrésistible « schoumologie » passent ainsi sous le crayon de Faizant.
En feuilletant l'épaisse somme, on serait tenté de sauter de dessin en dessin, mais ce serait une erreur. Car le travail de Sylvie Rosenzweig mérite bien plus que cela. C'est un hommage à l'artiste, certes, mais aussi le point d'orgue d'une carrière bien remplie qui fait honneur au métier de pharmacien. Cette thèse, peu ordinaire, qui par la précision des mots et l'élégance du dessin, retrace toute l'histoire d'une profession, du plus futile au plus grave, mériterait sans doute les honneurs d'un éditeur…
D'après la soutenance de thèse de Sylvie Rosenzweig, le 15 octobre 2018 à Paris.