En interrogeant les pharmaciens sur l’état actuel de leur trésorerie, la FSPF avait un double objectif : « dresser un état des lieux de la situation financière des officines » et « établir un baromètre annuel à la rentrée de septembre avant la discussion par le Parlement du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). » Cette consultation, menée le mois dernier, a aujourd’hui rendu son verdict. Principal enseignement : près des trois quarts (73,3 %) des 2 606 officinaux qui ont répondu à cette enquête (soit environ 15 % du réseau) déclarent que leur trésorerie s’est dégradée entre le 31 août 2023 et le 31 août 2024. Dans le même temps, un peu plus de 19 % des pharmaciens ont vu leur trésorerie se stabiliser et seulement 7,5 % des sondés disposent de davantage de liquidités disponibles aujourd’hui qu’il y a un an.
Le taux de pharmaciens déclarant une trésorerie inférieure à 2 % de leur chiffre d’affaires est passé de 39,7 % en août 2023 à 52,3 % en août 2024
Un autre chiffre édifiant démontre cet affaissement de la trésorerie chez la majorité des officinaux. Il y a un an, un peu plus de 12 % des pharmaciens déploraient une trésorerie dans le négatif, ils sont près de 20 % à faire ce constat aujourd’hui ! De plus, le taux de pharmaciens déclarant une trésorerie inférieure à 2 % de leur chiffre d’affaires est passé de 39,7 % en août 2023 à 52,3 % en août 2024. Dans la même logique, la part d’officinaux affichant une trésorerie supérieure à 5 % de leur chiffre d’affaires passe de près de 27 % à un peu moins de 19 % en seulement 12 mois.
EBE en baisse = trésorerie en baisse
C’est la première fois depuis 2008 que la FSPF décide de mener une enquête nationale sur la trésorerie des officines. 2008 et 2023 sont en effet deux années qui ont un point commun. « Depuis le début du XXIe siècle, ce sont les deux seules années où l’excédent brut d’exploitation (EBE) des pharmacies est en diminution, explique Philippe Besset, président de la FSPF. Lorsque cela se produit, on constate une dégradation de la trésorerie l’année suivante et c’est donc le cas en 2024 avec près de 20 % des pharmaciens qui sont dans le rouge à la banque. » Précision importante à apporter, la FSPF, contrairement au cabinet d’experts-comptables, exclut les stocks pour définir le niveau de trésorerie. Seul l’argent dont disposent les pharmaciens en banque est pris en compte.
L’enquête menée cette année par la FSPF a recueilli les réponses de titulaires gérant tous les types d’officines, de ceux à la tête d’établissements réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 0,5 million d’euros à ceux qui dirigent des pharmacies affichant un CA compris entre 5 et 10 millions d’euros. Environ 37 % viennent de milieux ruraux, 39 % sont installés en périphérie des villes et un peu moins de 20 % des réponses émanent de pharmaciens exerçant en centre-ville. Comme l’analyse Philippe Besset, on observe que deux catégories de pharmaciens ont particulièrement souffert entre 2023 et 2024. « Cette érosion de la trésorerie concerne tout le monde mais ceux qui enregistrent les baisses les plus importantes ce sont les pharmaciens qui ont acheté au cours des deux années précédentes, durant les années Covid, et ceux qui sont installés en centre-ville. Ces derniers ont davantage subi une hausse de leurs charges que les pharmaciens en zones rurales », détaille Philippe Besset.
Pour faire face à cette érosion de leur trésorerie, quelles mesures les pharmaciens ont-ils privilégiées ? L’enquête de la FSPF montre que le premier réflexe du titulaire est, sans surprise, de raboter ses propres revenus. Plus de 53 % des répondants ont ainsi dû se résoudre à une diminution de leur rémunération. Vient ensuite le gel ou le report des investissements, option choisie par 44 % du panel. « On voit bien que cette année est particulièrement difficile pour les informaticiens, agenceurs ou vendeurs de robots qui travaillent avec les pharmacies. Limiter ses investissements quand sa trésorerie baisse, c’est parfaitement logique. Si l’on ne peut rembourser ce qu’on a emprunté, on peut se retrouver dans ce que l’on appelle une crise de croissance et risquer la faillite. » Par ailleurs, environ un tiers des titulaires ont dû renoncer à de nouvelles embauches, une proportion équivalente a dû se résoudre à diminuer ses effectifs et un peu plus de 23 % d’entre eux ont gelé le salaire de leurs collaborateurs.
Une amélioration à prévoir l’an prochain, sous réserve du PLFSS…
Cette situation économique particulièrement délicate doit-elle pour autant faire sombrer les pharmaciens dans le pessimisme ? Philippe Besset ne le pense pas. « En 2009, 36 % des pharmaciens étaient dans le rouge. La situation était donc bien pire que celle d’aujourd’hui et nous avons su nous en relever, rappelle-t-il. L’an prochain, cela devrait aller un peu mieux si l’on parvient à conserver les acquis qui ont été obtenus du précédent gouvernement. » Néanmoins, cette embellie ne sera pas extrêmement spectaculaire, prévient-il. Alors que le Projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 a été présenté la semaine dernière, le président de la FSPF a rappelé au gouvernement l’importance de respecter les engagements prévus dans l'avenant conventionnel, notamment sur la substitution des biosimilaires, afin que « les pharmaciens arrivent à remonter la pente. ». Philippe Besset entend désormais mener cette enquête nationale sur la trésorerie des officines chaque année pour observer au mieux l’évolution de la situation.
Une baisse de 7,4 % au premier semestre
Dévoilées le 18 septembre, lors de la « Journée de l’économie de l’officine », organisée par « Le Quotidien du pharmacien », les premières statistiques de l’année corroborent les résultats de l’enquête menée par la FSPF.
Tendues en 2023, les trésoreries continuent de fondre au premier semestre 2024. Selon les observations de Fiducial sur 95 officines de la région Centre qui peuvent cependant être étendues à la France entière, les pharmacies subissent une attrition de 7,4 % de leur niveau de trésorerie. « Soit une chute de 264 500 euros au premier semestre 2023 à 244 900 euros en moyenne, cette année », note Bertrand Cadillon, responsable du département pharmacie chez Fiducial. Une approche mois par mois du volume de trésorerie comparé à celui du mois de référence 2023 permet d’établir que la situation s’est détériorée dans plus de la moitié des mois. Ramenée par tranches de trésorerie, la baisse a particulièrement frappé les pharmacies disposant d’une réserve de 200 000 à 400 000 euros. Le niveau reste en revanche stable pour les trésoreries d’un niveau supérieur à 800 000 euros et il est même en progression pour celles disposant de moins de 50 000 euros.
Retour de bâton
De manière générale, cependant, les trésoreries se dégradent en raison de la baisse de la rentabilité et de la marge. Une situation que les titulaires n’avaient plus connue depuis le début des années Covid. Ils s’étaient même habitués à confondre rentabilité et trésorerie, tant celle-ci était florissante. Les experts-comptables qui font aujourd’hui ce constat ont été également ceux qui ont conseillé à l’époque à leurs clients de profiter de cette trésorerie remise à flot pour investir - à raison — dans du matériel, robotisation notamment, ou dans l’agencement de leur officine. De même, nombre de pharmaciens, fatigués par la gestion de la crise sanitaire, n’ont pas hésité à augmenter les effectifs de leurs équipes. Aujourd’hui, face à une marge qui se détériore à 28,51 % du chiffre d’affaires au premier semestre, contre 29,32 % un an plus tôt, selon les premières projections du réseau CGP, le retour de bâton s’annonce. À tel point que, observent les experts-comptables, certains titulaires hésitent désormais à délivrer des produits chers. De peur qu’un indu ne vienne définitivement plomber leur trésorerie.
Marie Bonte