Le candidat démocrate devrait recueillir 53,4 % des suffrages populaires contre 45,3 % seulement à son adversaire. Au niveau du vote des grands électeurs, au nombre de 538, soit un nombre équivalent au total des sénateurs et députés, le score de M. Biden serait de 345, la majorité absolue étant de 270, contre 193 seulement à M. Trump. Le président sortant subirait donc plus qu'une défaite, une déroute. En 2016, Donald Trump lui-même a été surpris par sa victoire : il ne se croyait pas capable de battre Hillary Clinton. Il aurait donc pris sa défaite avec philosophie. Mais au bout de quatre ans d'un mandat qu'il glorifie en dépit de ses nombreux échecs et scandales, il fera tout pour rester dans le bureau Ovale.
Il s'est préparé avec frénésie à ce qu'il faut bien appeler un coup d'État pendant tout son mandat. Il n'a respecté aucune des règles et traditions qui régissent la présidence ; il a utilisé ses moyens présidentiels pour conduire sa campagne ; il n'a toujours pas publié ses déclarations fiscales au sujet desquelles circulent des informations incendaires ; il a rassemblé des milliers de partisans dans le parc de la Maison Blanche et s'est adressé à eux en tant que président et non en tant que candidat : au cours des deux débats avec Joe Biden, il a l'abreuvé d'injures et de noms d'oiseaux ; il a déclaré à l'avance qu'une élection du candidat démocrate serait frauduleuse et l'inciterait à utiliser tous les moyens, le recompte des voix, le refus de concéder sa victoire à Biden, le recours à la Cour suprême où il s'est assuré d'avoir une large majorité conservatrice, l'encouragement aux milices néo-facistes à garder l'arme au pied pour que Biden soit disqualifié.
Ses multiples provocations ont porté à ébullition les tensions de la société américaine qui ont toujours existé mais qu'il a ravivées en flattant son électorat, lequel, il faut le dire, ne l'a pas lâché. Il y a encore 43 % des électeurs qui s'apprêtent ou ont déjà voté Trump, ce qui indique que son pouvoir chaotique, incohérent, superficiel, enfantin, capricieux n'a pas entamé sa popularité. Aussi précises que soient les enquêtes d'opinion, aussi méticuleux et prudents que soient les instituts de sondage, le résultat est donc imprévisible. D'abord, le dépouillement des votes par correspondance demandera plusieurs jours ; ensuite M. Trump est parfaitement capable de se servir des sondages sur les électeurs issus des urnes pour annoncer qu'il a gagné alors que des millions de votes n'auront pas été dépouillés, ce qui peut, hélas, lui donner un avantage psychologique pour faire croire qu'il est réélu.
Une nation créée par la violence
Rien, en vérité, ne lui est acquis : l'écart entre lui et Biden peut donner un résultat clair en faveur du démocrate, ce qui découragerait le camp républicain ; l'opinion américaine, même celle qui est favorable à Trump, peut, cette fois, se détourner de ses manipulations ; même avec une majorité républicaine, la Cour suprême, composée de juristes adultes, peut jouer la transparence et l'honneur, et désigner Biden. Il demeure que Trump a fait assez de mal à son pays pour le laisser divisé, comme il ne l'a jamais été depuis la guerre de Sécession. L'élection de Biden risque d'entraîner des violences dans les grandes villes. Les 43 %, gonflés à bloc par la propagande de Trump, n'accepteront pas le verdict des urnes, parce que Trump a déjà introduit dans la société américaine le poison du non-droit. Toute l'histoire de l'Amérique est contenue dans la création d'une nation par la violence. Et si Biden, contrairement aux accusations de Trump, est parfaitement capable de gérer le pays, en tout cas bien mieux que lui, il sera peut-être dépassé par les agissements d'une minorité armée et agressive.
Du sort des États-Unis dépend celui de beaucoup de pays, y compris ceux d'Europe. Le sort de l'Otan, celui des relations commerciales et culturelles entre les deux grands blocs, celui d'une culture démocratique que Trump a défigurée. Les pays anti-américains, de la Chine à la Russie en passant par la Turquie, s'en réjouiront. Nous ne pouvons que déplorer une maladie sociale qui ne sera pas guérie avant plusieurs années.