Les coudes sur le bureau, la tête entre les mains, J-C essaie de se délasser. Ce soir, il devra avoir une sérieuse discussion avec Camille, sa fille. Pourquoi s'est-elle engagée dans cette manifestation anti-passe sanitaire et anti-vaccin sans même leur en parler ?
Pour Delphine son épouse, l'action de la jeune fille vise ses parents. Une façon d'exprimer sa solitude, alors que depuis plusieurs mois J-C et Delphine sont complètement absorbés par leur travail, à la pharmacie ou au cabinet médical. Même cet été, les trois semaines de vacances habituelles se sont transformées en jours de congé épars. « Si vous preniez un pharmacien supplémentaire dans l'équipe, ça serait beaucoup plus fluide. Et tu pourrais passer plus de temps avec ta famille », lui avait lancé sa mère, Élisabeth. Il ne lui avait pas répondu que lui aussi, adolescent, il avait souffert de son absence ; elle était toujours dans sa pharmacie. La seule différence est qu'ils habitaient à l'étage au-dessus. Et puis, comme partout en France, recruter un nouveau pharmacien ou un nouveau préparateur est une mission quasi-impossible ; les CV ne se bousculent pas.
Un coup à la porte du bureau sort le titulaire de ses pensées. Il relève les épaules. En s'étirant, il ressent une douleur vive. La jambe qu'il s'est fracturée il y a plus d'un an lui fait toujours mal quand il est fatigué. Il reste assis :
- Entrez !
- J-C, ça va ? Ne t'inquiète pas, les manifestants ne sont pas revenus, sourit Marion en s'avançant. Dis-moi, je dois passer une commande sur la plateforme ; avant de valider, je voulais discuter avec toi des grands conditionnements. Tu sais, la marge va être réduite en octobre.
- Ah oui, cette histoire encore… Les syndicats ne savent donc pas nous défendre ! Enfin, de toute façon, il faut faire avec.
- Je te propose qu'on limite le nombre, histoire d'en avoir quand même pour satisfaire les patients qui ne veulent que des boîtes de trois mois. Pour les autres, on favorisera les boîtes mensuelles.
- De toute façon, la plupart doivent revenir pour leur antiagrégant ou leur anticoagulant chaque mois. Alors oui, on fait comme ça. Autre chose ?
- Oui, il nous reste un flacon de vaccin Moderna sur les bras, à cause des désistements de ce début de semaine. Tu ne sais pas si des confrères en veulent ?
- On n'a plus personne à vacciner ?
- Tu sais, depuis le mois d'août, ça arrive au compte-gouttes. On a atteint un palier, avec près de 75 % de vaccinés sur notre territoire, soupire Marion.
- Et pour des doses de rappel ?
- Chaque fois que j'engage le sujet, le patient me répond qu'il fera ce rappel vaccinal au centre de vaccination. Vivement qu'on ait le Pfizer. Et encore…
- Je vais voir si un confrère est intéressé, soit pour récupérer le flacon, soit pour nous envoyer des patients à vacciner.
- Parfait. Merci.
Alors que Marion franchit la porte du bureau, Christèle fait un signe au titulaire. Elle est suivie de Damien. J-C les invite à entrer.
- Alors, qu'est-ce que vous voulez ?
- Damien et moi, nous aimerions faire la formation sur la vaccination. Comment ça se passe ?
- Il faudra voir ça avec Karine la semaine prochaine. Je n'en ai aucune idée. De toute façon, vu le peu de monde à vacciner…
- Oui mais comme ça, on sera formé. Si demain la vaccination est étendue à la grippe saisonnière, on sera prêts !, réplique Damien.
- C'est pas faux. Mais voyez ça avec Karine lundi. Moi, je serai enfin en vacances. Autre chose ?
(À suivre…).