- Ce que vous me dites ne me surprend pas, Jean-Paul. C’est très très rare de ne plus être positif à J5. Mais si les symptômes ont disparu, vous pouvez reprendre le travail.
Karine est au téléphone avec son adjoint, arrêté pour cause de Covid. Dans l'équipe, Damien, Théo et Jean-Paul ont été déclarés positifs la même semaine.
- Et pour la déclaration d’arrêt de travail, on fait comment ?, demande l’adjoint.
- J’ai vu ce point avec l’assurance maladie. Il y a un traitement spécial pour les professionnels de santé, pour faire des arrêts de moins de 7 jours.
Marilyne surgit dans l’encadrement de la porte de bureau :
- Karine, il y a un monsieur qui veut vous parler. Il dit qu’il est médecin. Mais son visage ne me dit rien.
- C’est Frédéric ?
- Ah non, ce n’est pas le docteur Breton. Je l'aurai reconnu. Celui-là est plutôt tout rabougri, lâche la femme de ménage sans prendre de gants, comme d'habitude.
Dans le front-office, un homme d’une soixantaine d’années se tient près du présentoir des biberons. Menu, le regard sévère, il observe l’activité autour de lui.
- Monsieur ?, demande Karine lorsqu’elle arrive près de lui.
- Docteur de Sousa. Je crois qu’il faut qu’on mette quelques petites choses au clair, vous et moi.
Le sourire de la pharmacienne s'efface. Surprise par cette agressivité, la titulaire est tentée de faire passer son visiteur dans le bureau. Elle se ravise finalement, préférant le laisser sur place débiter son discours. « Ce serait lui faire trop d'honneur », songe-t-elle. Pour l’avoir déjà appelé au sujet d’une ordonnance complexe, elle sait que pour le médecin qui se tient face à elle, le terme « interprofessionnalité » n'a aucun sens.
- Eh bien je vous écoute, docteur.
- Un patient m’a dit que vous l’aviez vacciné contre le Covid. Bref, je ne m’étendrai pas sur le sujet et je ne vous dirai pas ce que j'en pense. En revanche, il m’a dit que vous lui aviez administré un autre vaccin, le DTpolio je crois. C’est à moi de décider si mon patient doit recevoir un vaccin, et c'est à moi de décider quel vaccin utiliser.
- Mais si vous vaccinez contre le Covid, pourquoi est-il venu nous voir ?
Le médecin blêmit.
- Non, je ne vaccine pas contre cette maladie. J’ai déjà assez de travail…
- C’est vrai que nous, à la pharmacie, nous nous ennuyons. Pour ce qui est de l’autre vaccin, à part la grippe, je ne vois pas ce qu'on aurait pu lui administrer.
- Le DTpolio, je vous l'ai dit.
- Nous n’avons pas le droit, donc c'est impossible. Du moins, pour le moment, en attendant une autorisation du ministre qui devrait arriver prochainement… puisque la HAS s’est prononcée favorablement, insiste lourdement la pharmacienne en guise de provocation.
- Bon, mon patient a dû se tromper. Cependant, je tiens vraiment à ce que chacun fasse son travail et n'en déborde pas. Cette tendance à vouloir remplacer les médecins crée la confusion dans la tête de mes patients…
- Je suis tout à fait d'accord. Si vous saviez combien de fois par jour je précise que je ne suis pas médecin…, l’interrompt Karine, ironique. En revanche, les patients dont vous me parlez ne sont pas vos patients, mais les nôtres. D’ailleurs, nous appartiennent-ils ? Je pense plutôt l’inverse : nous sommes leurs professionnels de santé. Vous êtes leur médecin, je suis leur pharmacien. Autre chose, docteur ?
- Mais non, c'est tout, répond le médecin en tournant les talons.
(À suivre…)