Le Quotidien du pharmacien. - Vous présentez une cartographie de la marge officinale d’un rare niveau de granularité. Pourquoi avoir voulu mettre à disposition des pharmaciens un tel document qui s’apparente à un outil de comptabilité analytique ?
Joffrey Blondel. - Il y a dix ans, seules les cinq six premières lignes, portant sur la MDL, suffisaient. Aujourd’hui, on s’aperçoit que les pharmaciens, devenus désormais des chefs d’entreprise, ont de plus en plus besoin d’une compréhension détaillée de leur bilan et de leur rentabilité. Or on s’aperçoit que les lignes concernant les honoraires et les nouvelles misions commencent à totaliser une épaisseur non négligeable dans le compte de résultat !
Vos chiffres portant sur une pharmacie de taille moyenne, 1,9 million d’euros de chiffre d’affaires, font état d’une marge de 71 000 euros liée exclusivement aux missions Covid, ce qui représente 11,75 % de la marge globale. Comment appréhendez-vous la phase post-Covid dans ces conditions ?
De fait, toutes choses égales par ailleurs, à périmètre constant, il va falloir s’attendre à une marge mécaniquement plus réduite. Une inconnue demeure cependant en termes d’EBE, indicateur majeur de l’économie officinale. Celui-ci sera-t-il impacté dans la même proportion, sachant que certains coûts liés à la gestion de la crise sanitaire auront disparu. Si tant est que nous n’ayons pas à gérer de crise Covid en 2023, bien sûr. Pour rappel, comme l’indiquent les statistiques établies par le groupement d’experts-comptables CGP, sur les 33 000 euros d’EBE supplémentaires engrangés en 2021, 28 000 euros relevaient exclusivement des TAG. Les jeunes installés ou les candidats à l’installation auront tout intérêt à bien décortiquer ces chiffres car l’emprunt doit être remboursé sur un EBE auquel auront été soustraits les revenus non pérennes, c’est-à-dire liés au Covid. À ne pas confondre avec d’autres inconnues, récurrentes elles, du bilan officinal que sont les activités liées aux EHPAD ou encore les rétrocessions.
Ce tableau nous enseigne également un élément qui a été masqué par les effets de la crise Covid, il s’agit de la part prépondérante représentée par les médicaments chers (d’un prix supérieur à 1930 euros) qui constituent 18,4 % du chiffre d’affaires mais dont le taux de marge moyen n’est que de 2,7 %. Comment composer à l’avenir avec cet effet négatif ?
Ce tableau permet-il d’identifier de potentiels leviers de croissance pour l’officine ?
Il faut bien garder en tête que les missions Covid ont agi comme des « stéroïdes » sur l’économie officinale et que la trésorerie ainsi constituée doit être conservée et bien utilisée avec les conseils de son expert-comptable et de son conseiller financier CERP Rouen. Les nouvelles missions, vaccins et entretiens, en revanche ne représentent aujourd’hui que des sommes assez modiques – 1 500 euros - mais elles peuvent aisément croître à 6 000 ou 7 000 euros grâce à la réputation que gagnera le pharmacien à travers ces nouveaux services au patient. Il ne faut pas perdre de vue que ces missions sont génératrices de fidélisation et d’ouvertures sur d’autres activités. Ainsi, le MAD, qui n’est autre qu’un médicament augmenté chez le patient, détient un potentiel de croissance, grâce notamment à un contact suivi avec les aidants. Dans les années à venir, le pharmacien va être amené à se déplacer au domicile du patient. De prestataire, il va devenir acteur de soins. En résumé, les nouvelles missions sont à considérer comme un moyen d’expansion de l’activité officinale et non comme une finalité. Quant aux ventes associées, si elles sont pertinentes, elles doivent améliorer la qualité de vie du patient. Autre segment promis à la croissance, les produits bio, médecine douce, compléments alimentaires. Le tableau ne permet pas encore de les identifier en tant que tels dans le non remboursé, cependant, nos pharmaciens disposent de tableaux de gestions qui leur permettent de descendre en granularité par grandes familles dans la TVA à 20 % et d’adapter leur stratégie en fonction de l’analyse.
En quoi cette analyse de la marge officinale peut-elle être un outil à quelques mois des négociations conventionnelles ?
Il ne m’appartient pas d’anticiper sur ces négociations entre les syndicats et l’assurance-maladie. Cependant, cette cartographie de la marge est un outil de bench mark, un référentiel qui permettra à chaque titulaire de se situer dans son environnement immédiat. D’ailleurs, certains cabinets comptables le fournissent déjà à leurs clients. L’assurance-maladie, quant à elle, détient également tous les éléments constitutifs de la marge réglementée. Le message à lui adresser est de ne « pas casser la machine ». L’État a compris que la pharmacie, de par sa couverture territoriale, son ouverture au public, ses compétences en matière de conseils et d’expertises, était un partenaire unique parmi les professionnels de santé. Le Covid a certes entraîné un effet d’aubaines, mais l’économie officinale ne peut revenir à son niveau antérieur à la crise sanitaire. Ne serait-ce que parce que l’inflation pèse sur les salaires et plus encore, parce que la pénurie de personnels engendre un coût supplémentaire.
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