Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur 60 000 affiliés, la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) compte 28 000 cotisants pour 32 000 retraités. Un fossé qui ne cesse de se creuser au fil des fermetures d’officines et de la contraction du réseau qui s’ensuit. L’avenir ne semble pas plus radieux pour les vieux jours des titulaires. Car à chaque rentrée universitaire, les bancs désertés des amphis sont autant de cotisants en moins dans les prochaines décennies. Autre facteur, pointe Philippe Berthelot, président de la CAVP, la financiarisation du secteur qui de facto « induit une autre typologie d’officines ». « Ma hantise chaque année est de constater que nous perdons désormais 300 à 350 cotisants alors qu’en même temps nous comptons 1 100 allocataires supplémentaires. » Une menace démographique bien réelle par conséquent et qui pousse à trouver des solutions pour assurer la pérennité des pensions de la profession. Ou tout au moins leur niveau.
Faut-il inclure les adjoints ?
Car pour la CAVP, tenue de respecter strictement les règles de solvabilité, il s’agit de veiller à son ratio prudentiel, le « nerf de la guerre » de toute institution financière. « Nous sommes obligés d’avoir des provisions à hauteur de 110 %. » Mais cette discipline ne suffit plus. Face à une érosion inexorable du montant de la retraite par répartition, différents chantiers s’imposent, tout particulièrement sur la partie retraite complémentaire par capitalisation (RCC). « Nous devons actionner différents leviers. Parmi les principaux, nous pouvons explorer les possibilités d’élargissement de l’assiette de cotisations et freiner la chute du nombre de cotisants », prévient Philippe Berthelot.
La première piste serait d’ouvrir le régime RCC aux adjoints d’officine. Cette option semble naturelle mais elle est loin d’être évidente en l’état actuel. La Cour des comptes, qui a auditionné la CAVP le 12 novembre dans le cadre de son rapport sur la pharmacie d’officine, s’est d’ailleurs étonnée que les adjoints soient exclus de cette couverture. Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), n’exclut pas cette éventualité « dans la mesure où la capitalisation peut permettre à des pharmaciens adjoints, des confrères donc, d’améliorer leur retraite ». Même position à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Les deux syndicats s’interrogent néanmoins sur les conditions de mises en place. « Cette nouvelle couverture pourra-t-elle bénéficier aux adjoints actuellement en poste ou ne sera-t-elle proposée qu’aux nouveaux inscrits ? Là est l’enjeu », souligne Philippe Besset, président de la FSPF. Quoi qu’il en soit, il reste à convaincre la Direction de la Sécurité sociale (DSS), organe de tutelle de la CAVP, jusqu’à présent réfractaire à cette idée dont l’application réclamerait par ailleurs un changement réglementaire.
Autre piste poursuivie par le président de la CAVP, conserver au sein des cotisants les pharmaciens en cumul emploi-retraite en leur conférant un nouveau statut. Jusqu’à présent, tout titulaire qui a cédé son officine mais souhaite conserver une activité professionnelle détient un statut de salarié. Un second sujet d’étonnement des auditeurs de la Cour des comptes, rapporte Philippe Berthelot qui propose de promouvoir un statut libéral sous forme d’un contrat de collaboration libérale ou de remplacement. Cette solution aurait pour avantage de conserver ces pharmaciens-retraités comme cotisants tout en optimisant leurs pensions.
Force est de constater que les structures anciennes, conçues dans le contexte d’un réseau officinal florissant, ne sont plus adaptées aux réalités du terrain, ni aux contraintes économiques actuelles. Alors qu’il était jusqu’alors considéré comme un pilier essentiel de la retraite du titulaire, le fonds d’officine n’offre plus aujourd’hui les mêmes garanties. Les quelques officines cédées à l’euro symbolique ne sont que la partie immergée du phénomène de dévalorisation qui touche les fonds situés dans les déserts médicaux.
Le piège des SEL
Face à ces nouveaux enjeux, et décidée à garantir aux confrères et consœurs un bon niveau de pension, la CAVP se doit d’investiguer les marges d’amélioration au sein même des barèmes. Quitte à remettre en cause le mantra de la CAVP qui veut que les affiliés cotisent en fonction du statut juridique sous lequel ils exercent. Or élaborés à une époque où la majorité des titulaires, exerçant en nom propre, était imposée à l’impôt sur le revenu (IR), les barèmes apparaissent aujourd’hui inadaptés face à l’accroissement du nombre de pharmaciens exploitant leur officine sous une structure imposée à l’impôt sur les sociétés (IS).
L’Ordre des pharmaciens* remarque en effet que, depuis une dizaine d’années, les titulaires d’officine choisissent davantage d’exploiter leur pharmacie en société. Entre les pharmacies exploitées en nombre propre et celles en association, la tendance s’est même inversée : en 2013, on dénombrait 11 135 officines détenues en nom propre contre 10 693 en association, dix ans plus tard 2 331 exploitations en nom propre subsistaient contre 17 533 associations. Parmi ces dernières, 14 416 étaient constituées en SEL. De manière globale, les SEL représentaient, l’année dernière, 72,5 % du réseau officinal, soit 3,5 % de plus qu’un an auparavant.
Ce nouveau paradigme n’est pas sans incidence sur le niveau des pensions servies aux titulaires retraités. La démonstration en est simple. Aujourd’hui, de 1 850 euros en moyenne à l’issue d’une carrière libérale d’environ 25 ans, la pension servie par la CAVP se compose pour 29,8 % par le régime de base, pour 33,9 % par la retraite complémentaire par répartition (RCR) et pour 36,3 % par la retraite complémentaire par capitalisation (RCC). Cette dernière partie, bien que toujours prépondérante, subit une inflexion réelle. Les titulaires soumis à l’IS sont tout particulièrement concernés. La raison en est simple, leur assiette de cotisation est deux fois moins importante que celle de leurs confrères et consœurs payant l’impôt sur leur revenu professionnel (IR). Ainsi, 70 % des pharmaciens cotisent aujourd’hui au niveau de la classe 3 (revenu inférieur à 79 735 euros), ce qui représente une cotisation annuelle de capitalisation de 2 752 euros. Parmi eux, 59 % se déclarent en IS contre 12 % seulement en IR. À l’inverse, sur un échantillon représentatif étudié par la CAVP, plus d’un titulaire à l’IR sur trois cotise en classe 13 (classe la plus élevée) correspondant à une cotisation annuelle de capitalisation de 16 512 euros.
La clause du grand’ père
Dans cet échantillon, aucun pharmacien se déclarant à l’IS ne cotise en classe 13. Et pour cause. Cette distorsion s’explique facilement par la base de calcul des cotisations. Alors que pour le titulaire exerçant sous statut IR, le bénéfice sert de référence, l’assiette de cotisation est mécaniquement plus importante que celle de ses confrères et consœurs soumis à l’IS. Pour ceux-ci, en effet, la base de calcul des cotisations est assise sur la seule rémunération d’associés à laquelle s’ajoute une fraction des dividendes perçus. De fait, ces deux régimes fiscaux induisent des disparités de cotisations et donc de retraite.
Aussi, afin de garantir à tous un bon niveau de retraite, Philippe Berthelot, qui mise sur la capitalisation pour atteindre cet objectif, propose de revoir les paramètres du système et de faire cotiser l’ensemble des titulaires sur le Résultat courant avant impôt (RCAI) multiplié par le taux de participation directe et indirecte de l’associé ajouté à la rémunération technique perçue. Afin de ne pas bouleverser d’emblée tout le système, le président de la CAVP envisage d’introduire une clause « du grand-père » pour assurer une transition supportable. Seuls les nouveaux entrants et les volontaires seront soumis à ce nouveau mode de calcul. « Les plans de financement des installations prendront donc ce système en considération », précise Philippe Berthelot.
Par ailleurs, et afin d’optimiser les performances du régime de capitalisation, la CAVP travaille sur plusieurs options. L’une d’elles serait d’adopter sur une nouvelle table de mortalité qui se substituerait à la table féminine actuelle nécessairement conservatrice pour les hommes. Autre option, la constitution d’une Provision pour participation aux excédents (PPE) alimentée par les résultats non immédiatement distribués. Son principe ? Par un effet de lissage, permettre de prélever une somme sur la PPE préalablement constituée les années où les résultats financiers seront en baisse ou en cas d’inflation. L’exercice consistera pour la CAVP « à optimiser des mécanismes qui permettent de définir le partage des résultats du régime de retraite complémentaire par capitalisation (RCC), entre une revalorisation des droits et la préservation du taux de couverture du régime ». D’autres options sont également étudiées par les administrateurs de la Caisse pour rendre plus efficient le régime de capitalisation, comme l’introduction d’un taux technique positif qui majorerait la pension de départ. Enfin, le régime fiscal auquel est soumis le RCC, conduisant la CAVP à verser chaque année 9 millions d’euros d’impôts, pourrait être révisé.
*Démographie des pharmaciens. Panorama 2023.
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