Les pharmaciens chercheraient-ils à se faire peur ? Depuis plusieurs mois, à en croire les syndicats représentatifs de la profession et certains groupements, le spectre de la financiarisation plane comme une menace sur le réseau officinal. Et si c’était pour mieux conjurer le sort, réservé jusqu’à présent aux laboratoires de biologie, à la radiologie, à l’imagerie médicale et même la santé animale, avec les effets dévastateurs que l’on connaît ?
Pourtant, la profession n’est pas la seule à redouter les conséquences de l’entrée d’acteurs tiers au capital des officines. Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), rappelle ainsi que lors de son entrevue à la mi-mars avec la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, celle-ci a réaffirmé son attachement à l’indépendance économique et a annoncé qu’elle défendrait la pharmacie contre la financiarisation. Toutefois, cette position est loin de faire l’unanimité. Au sein même du gouvernement, des voix contraires s’élèvent. Bercy a ainsi consulté la Fédération du commerce associé (FCA) afin de connaître la position des coopératives sur une éventuelle ouverture du capital. Jusqu’aux bancs de l’Assemblée nationale, où le député Marc Ferracci concocte un projet de loi de dérégulation censée dégager des économies dans le système de santé.
Le pharmacien, tête pensante
Le premier combat de la profession sera donc de faire taire rapidement ces Cassandres. Le deuxième sera de présenter des modèles de financement alternatifs suffisamment robustes pour contrer les velléités, somme toute encore assez timides, de main mise sur le capital officinal. Pour l’heure, celles-ci proviennent du reste davantage de family offices que de fonds vautours. Ces investisseurs agissent par le truchement de certains groupements dont ils détiennent le capital.
Force est de constater, cependant, que des solutions s’imposent, car le marché officinal a besoin de financement, tant pour assurer la relève, au moment de la transmission, que pour faciliter l’innovation tout au long de la vie de l’entreprise. Et si la planche de salut venait des coopératives ? Que ce soit sous la forme de groupements, tels Giphar ou Giropharm, ou de groupes d’intégration verticale de sociétés de services répondant aux besoins de l’officine, comme Wellcoop ou Astera, le modèle coopératif parait en mesure de s’ériger en rempart contre des investisseurs externes à l’officine. C’est en tout cas ce qu’affirment certains de ses représentants. De par sa structure résolument démocratique, la coopérative « des pharmaciens pour les pharmaciens » est en effet la mieux à même d’identifier une menace extérieure et de la contrer. « Il ne faut pas perdre de vue que dans une coopérative la tête pensante est le pharmacien. Il a toujours le dernier mot face à une direction dont il a nommé les membres », rappelle Valérie Kieffer, présidente de Giphar, affirmant que le modèle coopératif est celui qui garantit le mieux les trois piliers de la pharmacie à la française. Chez Giropharm, les pharmaciens se retrouvent en groupes de travail et décident de la stratégie. « Nous ne pouvons avoir d’indépendance intellectuelle si nous ne disposons pas d’indépendance financière », croit Luc Priouzeau, PDG de Giropharm.
Les actionnaires qui détiennent le flux, détiennent le budget de l’entreprise et décident des enjeux stratégiques »
Olivier Mercier, président du directoire d’Interfimo
Des titulaires pieds et poings liés
L’un des principes du modèle coopératif est que les intérêts financiers servent la structure. « Tous les bénéfices sont reversés aux adhérents au titre d’excédents de gestion ou bien investis dans des services, site internet, conseillers en développement ou encore dans la direction santé qui permet de prendre de l’avance sur les nouvelles missions », explique Luc Priouzeau. Cette philosophie basée sur le partage des valeurs et des richesses est aux antipodes de la stratégie d’investisseurs, soucieux de récupérer leur mise dans les cinq à sept ans, en imposant des taux de rentabilité délétères pour le pharmacien titulaire. Comme l’expose Olivier Mercier, président du directoire d’Interfimo, les fonds font de l’entrisme dans certains groupements dont ils financent la croissance sous forme de bons de souscription d'actions (BSA). Ils s’immiscent dans les pactes d’associés, siégeant à la commission des rémunérations, décidant de l’ordre du jour des conseils d’administration… En un mot, « les actionnaires qui détiennent le flux, détiennent le budget de l’entreprise et décident des enjeux stratégiques ». « Les fonds tiennent le titulaire par la dette, poursuit-il. Ainsi, les dividendes de l’officine remontent au fonds sans que le titulaire puisse s’y opposer. »
Rien que du classique
À l’inverse, une coopérative aura intérêt à préserver la pérennité de son sociétaire. « Car l’essence même d’une coopérative est d’être en bonne santé et de veiller à celle de ses sociétaires », déclare Joffrey Blondel, directeur Gestion officinale chez Astéra. Les officinaux ne s’y trompent d’ailleurs pas. D’après Joffrey Blondel, ils sont de plus en plus nombreux à être séduits par les vertus du modèle coopératif qu’ils rejoignent.
Sans nier pour autant les besoins en financement, au cœur des préoccupations de tout chef d’entreprise. Cependant, sur ce chapitre également, le modèle coopératif détient des solutions. À titre d’exemple, la branche « Santé et territoires » créée en 2023 par le Crédit agricole, relevant lui-même du modèle coopératif, répond à ces besoins de financement, et tout particulièrement dans l’aide à l’installation. « Nous détenons plusieurs dispositifs spécifiques pour y répondre que ce soit des prêts à étage, des prêts différés… », affirme Pierre Guillocheau, directeur général Crédit Agricole Santé & Territoires. Il se refuse à « crier au loup ». Car il est formel, il n’observe « aucun tsunami de financiarisation dans le milieu officinal, pas davantage de refus de dossier de financement. Il ne faut pas se faire peur, la pharmacie n’est ni la radiologie, ni l’analyse de biologie médicale ». « Nous demeurons dans un financement traditionnel, renchérit Olivier Mercier, que ce soit par booster d’apport, par crédit classique, par prêts par paliers ou encore par différés d’amortissement. »
Besoin d’une éthique commune
Il n’en reste pas moins qu’il y a urgence à former et informer les étudiants sur les thématiques de gestion de financement, encore trop souvent absentes du cursus universitaire. Car, à défaut, ceux-ci répondront aux chants de sirènes d’investisseurs externes à la profession. Raison de plus, affirme Olivier Mercier, pour que la profession s’unisse dans une communication dans les facultés, « afin que le leadership reste dans le giron de la médecine de ville ». « Nous n’avons pas besoin de la financiarisation pour aider à l’installation », confirme Joffrey Blondel, appelant cependant à la vigilance : « Il faudra juste veiller à ce que les boosters ne soient pas dénaturés et amènent ainsi à un surcoût. »
Pour éviter cette fuite en avant dans le pricing des fonds de pharmacie, le réseau est appelé à une certaine discipline sur le marché des cessions. « Nous devons avoir le souci du juste prix si nous voulons conserver notre modèle », met en garde Philippe Besset. Selon Dominique Pautrat, président du directoire de Wellcoop, les coopératives peuvent jouer ce rôle de régulation dans l’aide à l’installation. Appelant à une posture évitant de survendre le potentiel d’une officine, il propose d’établir un protocole éthique de transaction, un pacte de confiance scellé entre coopératives, en quelque sorte. C’est à cette condition seulement que le réseau officinal pourra se maintenir et, surtout, préserver son indépendance.
D’après une conférence organisée par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), le 25 mars, sur le thème « L’indépendance de l’officine à travers le prisme des coopératives ».
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