TOUT LE MONDE ne peut pas devenir pharmacien. Chaque année, un peu plus de 3 000 étudiants sont autorisés à poursuivre leurs études dans cette filière, à l’issue d’un concours difficile. Mais certains cherchent à contourner ce numerus clausus d’entrée dans la profession. Dans cet objectif, des étudiants français se tournent déjà vers d’autres pays européens, comme la Belgique ou la Roumanie (voir « le Quotidien » du 15 octobre). Désormais, plus besoin de s’exiler. Une université portugaise a carrément décidé de venir s’installer en France. Depuis le 12 novembre, l’université privée portugaise Fernando Pessoa (UFP) propose ainsi un cursus pharmacie (mais aussi dentaire) à La Garde, petite commune du Var. Afin d’attirer les étudiants mal classés à l’issue des premières épreuves du concours 2012-2013, elle a même décidé d’allonger ses délais d’inscription jusqu’au 18 janvier prochain. En effet, à l’UFP les candidats n’auront pas de concours à passer pour décrocher le sésame professionnel. Le recrutement s’effectue uniquement sur dossier. Mais cet avantage a un prix : les frais de scolarité s’élèvent à 9 500 euros par an.
« Pour l’heure, nous accueillons 15 étudiants en pharmacie et la filière pourra en recevoir jusqu’à 50, explique Jacques Lachamp, docteur en pharmacie français et responsable de ce cursus. Pour le moment, nous ne proposons que la première année. La seconde année sera ouverte l’an prochain et ainsi de suite. » À l’issue des études, ce n’est pas un diplôme français qui sera délivré, mais bien un diplôme portugais. Cependant, par le jeu des équivalences européennes, il permettra d’exercer sans problème la pharmacie en France, moyennant un simple contrôle linguistique.
Sélection par l’argent.
À peine proposée, cette nouvelle offre universitaire sème le trouble dans la profession. « Nous sommes tous en émoi depuis une quinzaine de jours, explique Dominique Porquet, président de la conférence des doyens des facultés de pharmacie de France. Les doyens d’odontologie sont inquiets également, car la filière dentaire de l’UFP a déjà fait le plein. Et ceux de médecine aussi, même si l’université portugaise ne propose pas encore de cursus médical. » Leur principal grief : le mode de recrutement des étudiants. « L’université Fernando Pessoa contourne totalement le numerus clausus, s’indigne Dominique Porquet. Elle ne fait aucune sélection, hormis financière », sans compter que « les étudiants n’ont même plus besoin d’aller étudier en Belgique ou en Roumanie pour se soustraire à la sélection française ». Un phénomène très préoccupant pour le président de la conférence des doyens, qui craint que, si d’autres universités étrangères s’implantent en France, le principe du numerus clausus ne devienne obsolète. « Il est inutile de mettre en place un système très cadré s’il peut être contourné aussi facilement », insiste Dominique Porquet.
Diplômes à vendre.
L’association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF), très remontée également, dénonce quant à elle des « diplômes à vendre ». « Les étudiants ayant échoué au concours de pharmacie pourraient acheter leur diplôme, ce qui détourne le numerus clausus et met à mal l’égalité des chances, s’insurge Réda Amrani-Joutey, président de l’ANEPF. On se dirige vers un enseignement à deux vitesses, un pour les "riches" et un pour les "pauvres". » Pour le représentant des étudiants, qui craint que cette nouvelle offre fasse des émules, le risque est réel de provoquer, à terme, une dérégulation de l’offre de soins.
Jacques Lachamp le reconnaît volontiers, l’UFP permet bien de contourner le concours, un mode de sélection, selon lui, inadapté. « Je ne suis pas du tout favorable au numerus clausus, déclare-t-il. Au nom de quoi est-il imposé par l’État ? Sur 1 000 diplômés par an, on en perd plus de 300. Il est inadmissible d’imposer un quota qui ne correspond pas, au final, au nombre de professionnels exerçant ! » Quant au montant des frais d’inscription, il ne le choque pas : « Tout cela est relatif, car aller suivre un cursus en Belgique ou en Roumanie coûte aussi cher », fait-il remarquer. Reste que le tarif de ces enseignements est bien supérieur à celui pratiqué dans les facultés françaises.
Mauvaise réputation.
Outre le mode de sélection, c’est la qualité des enseignements dispensés par l’université Fernando Pessoa qui inquiète les pharmaciens français. « D’après nos homologues portugais les formations sont nivelées par le bas et une grande partie des étudiants quitte la faculté avant la fin de leur cursus », détaille Réda Amrani-Joutey. Quant au contenu du programme de pharmacie, il lui paraît suspect : « il est calqué mot pour mot sur le texte des directives européennes qui définissent les modules à valider pour obtenir un diplôme de pharmacien », explique-t-il. Le doyen Porquet s’inquiète également de la réputation « exécrable » de cette université au Portugal. « Il n’y a aucune garantie de qualité des études », met-il en garde. Un argument réfuté par Jacques Lachamp, qui rétorque que « ce n’est pas un diplôme au rabais. Nos professeurs sont très compétents. Notre challenge est d’amener les étudiants à réussir. Nous ne travaillons pas dans un esprit d’échec et de sanction. Ils auront un tuteur professeur et un tuteur praticien exerçant. Nous promouvons un esprit d’excellence. »
Pas convaincus, les doyens et les étudiants ont bien l’intention de mettre des bâtons dans les roues à l’initiative portugaise. « Nous avons sollicité les services de la Santé et de l’Enseignement supérieur, afin de savoir si l’ouverture de l’UFP est bien cadrée au niveau légal, indique Dominique Porquet. Si toutefois c’était le cas, nous nous engagerons dans une guerre de tranchées. » Il brandit ainsi la menace de limiter l’accès aux stages de ces étudiants chez les confrères français. Enfin, les trois présidents des conférences de doyens préparent un courrier à destination du ministère. De leur côté, les étudiants ont aussi alerté l’Ordre des pharmaciens, ainsi que les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur. « Tout le monde est mobilisé », prévient Dominique Porquet.
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