En seulement un an, le nombre de places vacantes en deuxième année de pharmacie a augmenté de 550 % selon les estimations de l'Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF). Plus de 1 100 places ne sont pas pourvues cette année en France contre 168 à la rentrée 2021. Des chiffres à peine croyables qui ont poussé l'ANEPF, mais aussi le Conseil national de l'Ordre et les syndicats, à monter au créneau.
Dans un communiqué commun publié le 21 septembre, ils tirent la sonnette d'alarme et alertent sur les conséquences dramatiques de cette désaffection, qui « met en péril l'avenir de la profession, mais aussi l'accès aux soins » pour les patients. « Que va-t-il se passer si cette situation perdure ? Si nous perdons 1 000 étudiants par promotion pendant les 5 ou 6 années qui viennent ? », interroge Romain Gallerand, porte-parole de l'ANEPF. « La filière manque de visibilité, trop d'étudiants ignorent encore toutes les possibilités, tous les débouchés, qu'offre ce métier. Sur ce point, la réforme des études de santé (effective depuis 2020) n'a rien arrangé, au contraire », déplore l'étudiant. Si le manque d'attractivité de la filière pharmacie était déjà dénoncé du temps de la défunte PACES, l'évolution du métier, les nouvelles missions, le rôle important joué durant la crise Covid, et donc la réforme, laissaient augurer des perspectives nouvelles. Des espoirs qui viennent aujourd'hui se briser sur la dure réalité des chiffres.
La ministre « dans un déni de réalité »
S'ils sont inquiets vis-à-vis de la situation et de ses conséquences à long terme, les syndicats représentatifs de la profession sont aussi circonspects face à l'attitude de la ministre de l'Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, qui ne semble pas vraiment affolée à l'idée de voir les bancs des facs de pharmacie se dépeupler. « Les déclarations de la ministre (de l'Enseignement supérieur) sont complètement hors sol, s'indigne Philippe Besset. Dire que le nombre de places en 2e année de pharmacie a augmenté de 9 % alors que le nombre d'étudiants inscrits a chuté de 30 %, c'est être en plein déni de réalité. Globalement, il y a un gros problème avec cette réforme, personne n'y comprend rien. Il n'y a pas que la pharmacie qui souffre, c'est aussi le cas de la maïeutique par exemple », souligne le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Lui aussi atterré par le nombre de places vacantes en 2e année de pharmacie, Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), estime également qu'il faut « tout remettre à plat » concernant la réforme des études de santé.
« En deux ans, la réforme a fait un mal terrible »
Après une première année chaotique, marquée notamment par le Covid et les cours à distance, l'an II de la réforme des études de santé semblait s'être déroulé de manière plus apaisée. Alors que la réforme entre dans sa troisième année, force est de constater que le nouveau modèle mis en place, symbolisé par les deux voies d'accès qui existent désormais pour accéder aux filières santé (PASS et L.AS), suscite toujours autant d'incompréhensions. Si les difficultés étaient connues, l'annonce du nombre de places vides sur les bancs des facultés de pharmacie a fait l'effet d'un coup de massue pour la profession. Emmanuel d'Astorg, président du collectif national PASS/L.AS, association qui réunit des étudiants confrontés à cette réforme et leurs parents, n'est, lui, pas surpris par cette situation. « Cela fait deux ans que nous alertons sur les méfaits de la réforme et sur les risques que des places ne soient pas pourvues dans certaines filières et notamment en pharmacie. Aujourd'hui, nos craintes se concrétisent. L'an dernier, il y avait déjà peu de candidats issus des parcours PASS et L.AS pour aller en pharmacie, à tel point que tous les étudiants venus du PASS étaient pratiquement assurés d'avoir une place en pharmacie. Il y avait donc déjà une première alerte l'an dernier, qui aurait dû permettre à tout le monde d'ouvrir les yeux », déplore Emmanuel d'Astorg. « En deux ans, cette réforme a fait un mal incroyable. L'esprit de la réforme est beau sur le papier. Diversifier les profils c'est une très belle intention, mais aujourd'hui la question n'est pas là. Dans certaines filières, on n'a même pas assez de candidats, c'est ça la réalité », rappelle Emmanuel d'Astorg.
L'association qu'il préside a entamé au début du mois une démarche juridique afin d'obtenir l'abrogation de la réforme de la première année d'études de santé. « Abrogation, cela ne veut pas dire que l'on veut revenir à la PACES mais ce double cursus (santé plus mineure dans un autre domaine) ne fonctionne pas. Il faut repartir d'une page blanche avant qu'il ne soit trop tard. » Le collectif national PASS/L.AS a fait parvenir un courrier au cabinet de la Première ministre pour faire part de ses intentions. Il se tient prêt à saisir le Conseil d'État si nécessaire. Pour l'instant, il n'a reçu en guise de réponse que la déclaration de Sylvie Retailleau qui a affirmé, le 15 septembre, que son ministère « ne reviendra pas sur la réforme ».
Limiter la casse pour la rentrée prochaine
De son côté l'ANEPF, à l'instar des doyens des facultés de pharmacie, ne veut pas d'une remise en cause complète de la réforme. « On ne veut pas la supprimer, on veut la faire changer. Ce qu'on ne veut surtout pas, c'est revenir à la PACES d'autrefois qui a traumatisé des générations d'étudiants, moi y compris », explique Romain Gallerand, le porte-parole de l'ANEPF. « On espère que le gouvernement va ouvrir la discussion, que les étudiants auront leur mot à dire », prédit-il. L'ANEPF tente de sensibiliser des parlementaires sur la question des places vacantes en pharmacie et sur les difficultés liées à la réforme. Il sera difficile, sinon impossible, d'obtenir des résultats dès cette année. « L'objectif c'est de trouver des solutions pour que l'on ait moins de places vacantes en pharmacie l'an prochain et que l'on puisse repartir sur une meilleure dynamique », résume Romain Gallerand.
La pharmacie, toujours dans l'ombre de la médecine
Étudiant l'an dernier en deuxième année de pharmacie à Strasbourg, Louis Kelbert résume en un constat la problématique du manque d'attractivité de la filière pharmacie. « Nous étions environ 170 dans ma promotion. En début d'année, on nous a demandé qui, parmi nous, aurait voulu faire médecine. Les deux tiers des étudiants ont levé la main. En première année, la pharmacie a été la filière la moins choisie, derrière kiné et sages-femmes. » Fils de pharmaciens, Louis Kelbert se dirigeait lui-même vers la médecine avant qu'une mauvaise note à l'oral ne le contraigne à revoir ses plans. Comme d'autres étudiants, il a finalement préféré se tourner vers l'étranger plutôt que de poursuivre en 3e année de pharmacie. Après avoir passé un concours très sélectif, il a été admis en médecine à Bruxelles. Une fois diplômé, il n'est pas sûr de revenir exercer en France.
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