Le Quotidien du pharmacien. - Vous insistez sur le caractère exceptionnel des résultats économiques de pharmacies analysés dans votre dernière étude statistique*, est-ce à dire que ce scénario ne sera plus d’actualité en 2022 ?
Philippe Becker. - Disons qu'il serait peut-être plus opportun de parler de scénario imprévisible ! L’année 2022 a démarré très fort avec de fortes tensions dans le monde officinal. Les deux derniers trimestres pourraient être plus calmes mais c’est toujours difficile d’avoir des certitudes. Il reste qu'après 2021, l'année 2022 sera un bon cru également mais il faut garder la tête froide et ne jamais oublier que l’effet Covid a représenté l’essentiel de la croissance en 2021. Depuis quelques mois, la rémunération des tests a été revue et il est difficile de prédire quels Français viendront en officine pour la quatrième dose de vaccin.
Vous mentionnez que la part du médicament remboursable tend à régresser en 2021. Le Covid n’a donc eu pas d’effet « boost » sur cette activité !
Olga Romulus. - Pour les formes bénignes du Covid, les patients ont pioché dans leur armoire à pharmacie ou sont allés chercher des antalgiques ou des antipyrétiques chez le pharmacien, donc il s’agit plutôt des médicaments sans ordonnances. Pour les cas graves, c’est l’hospitalisation, et donc là nous sortons du champ de la médecine de ville. N’oublions pas aussi que l’effet de « structure prix » sur les médicaments remboursables se poursuit inexorablement, ce qui explique aussi la baisse de la part des produits au taux de 2,10 % dans l’activité.
Dans votre étude, intégrez-vous les honoraires qui s’ajoutent au prix de vente des molécules remboursables ?
Olga Romulus. - Oui nous continuons à calculer la part des produits remboursables en y ajoutant les honoraires qui sont payés directement par les patients. Il faut bien reconnaître qu’au fil des ans la lecture de l’activité d’une officine devient de plus en plus complexe car il faut décortiquer beaucoup d’éléments qui composent le chiffre d’affaires. C’est la raison pour laquelle l’indicateur qui nous paraît le plus pertinent est la marge brute. Celle-ci a progressé de plus de 9 % en valeur absolue en 2021, ce qui est du « jamais vu » ! Dans ce contexte la rentabilité brute a pris de belles couleurs pour la grande majorité des officines étudiées. La trésorerie a suivi la même pente !
Vous mentionnez toutefois qu’une pharmacie sur cinq a vu son chiffre d’affaires diminuer dans un contexte où la croissance moyenne a été, selon vos chiffres, de 6,53 %. Comment expliquez-vous ces contreperformances ?
Philippe Becker. - Il y a des nombreuses raisons à ce phénomène. Certaines officines n’étaient pas du tout prêtes pour la vaccination et les tests, car il faut du personnel et aussi de la place ! D’autres pharmacies ne disposent pas du potentiel de clients pour faire du chiffre dans ce domaine. Il faut toutefois regarder ces résultats de manière positive car 80 % des officinaux se sont impliqués pour une croissance moyenne de 8,6 % ! Cette situation a mis en évidence les forces et faiblesses de chaque pharmacie. Les officinaux ont beaucoup appris en peu de temps et ils sont sans aucun doute mieux armés pour le futur.
Peut-on dire que la crise sanitaire a encore plus creusé le fossé entre les petites pharmacies et les plus grosses ?
Philippe Becker. - Malheureusement les chiffres que nous publions pour 2021 étayent cette idée. Ce n’est pas surprenant car de faibles moyens humains et une logistique bridée par un manque de surface créent forcément des « laissés-pour-compte ».
Doit-on considérer que l’activité officinale s’est définitivement orientée vers le service aux patients ?
Olga Romulus. - La crise sanitaire a bien évidemment favorisé cette mutation un peu par la force des choses. Mais il faut être conscient que la Sécurité sociale a très largement financé ces missions. Par ailleurs le « passe sanitaire » a créé une forte contrainte pour la vaccination et les tests. Il s’agit d’un modèle économique assez artificiel et rien ne permet de dire aujourd’hui que les autres missions de services qui seront proposées dans le futur aux patients auront le même succès.
Philippe Becker. - L’effet de vague va forcément s’estomper, même s’il est difficile de dire si nous en avons fini avec la pandémie du Covid 19. Au-delà de ce constat, il faut se préparer à des années plus compliquées car le message du président de la République sur la fin de l’abondance annonce sans doute un retour à plus de normalité dans les dépenses de santé.
C’est la raison pour laquelle vous conseillez dans vos conclusions de conserver de la trésorerie et de consolider les capitaux propres des officines !
Olga Romulus. - Le passé a montré que les arbres ne montaient pas jusqu’au ciel, tout particulièrement dans le paysage officinal français. La recherche d’économie va redevenir un leitmotiv gouvernemental après la fin du « quoi qu’il en coûte ». Les bons résultats 2021, et probablement ceux de 2022, doivent effectivement inciter les officinaux à renforcer leurs capitaux propres pour des années moins glorieuses.
Philippe Becker. - Cette période peut être aussi l’occasion d’une réflexion stratégique sur le positionnement de son officine, sur ce qu’il faudrait faire pour améliorer son efficacité. Le défi du recrutement, qui va se poursuivre inéluctablement du fait du remplacement des classes d’âge importantes par des plus réduites, est un bon exemple. Sur le potentiel humain, les pharmacies devront investir de plus en plus ; ce qui aura pour corollaire une croissance de la masse salariale. Les ratios de notre étude vont sans nul doute bouger, d’où la nécessité impérieuse de garder de la trésorerie pour avoir une capacité à agir !
*Disponible auprès de www.fiducial.fr/Pharmacie.
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