Les stratégies déployées par les trois laboratoires ont payé puisque les tentatives des pouvoirs publics pour favoriser l’utilisation d’Avastin (bevacizumab), beaucoup moins cher que Lucentis (ranibizumab), dans la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) se sont soldées par un échec et ont pesé lourdement sur les comptes sociaux.
Genentech est une biotech américaine, créatrice des deux médicaments. Le Lucentis est développé pour traiter la DMLA, avec succès. Il obtient son autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne en janvier 2007 et un accord de licence est passé avec le Laboratoire Novartis. Parallèlement, l’anticancéreux Avastin obtient son AMM en janvier 2005 et un accord de licence est passé avec un autre groupe suisse, Roche, qui en est actionnaire majoritaire et finira par racheter la biotech en mars 2009. Voilà pour les « liens capitalistiques » et contractuels, que l’Autorité de la concurrence met en avant pour parler d’une « entité collective » dont les pratiques abusives reposent sur sa position dominante. « Compte tenu des différences de coût entre les deux spécialités, toute utilisation d’Avastin à la place de Lucentis était susceptible d’entraîner un manque à gagner significatif pour chacun des trois laboratoires concernés. »
Or, note la présidente de l’Autorité de la concurrence, Isabelle de Silva, « des médecins ont constaté que des patients traités par Avastin pour un cancer voyaient une amélioration de leur DMLA, à une époque où l’injection de Lucentis coûtait 1 161 euros et celle d’Avastin entre 30 et 40 euros ». Des études ont confirmé l’efficacité d’Avastin dans la DMLA. Incité à déposer une demande d’AMM pour Avastin dans la DMLA, Roche s’y refuse. Le gouvernement français saisit l’Autorité de la concurrence début 2014 et instaure la recommandation temporaire d’utilisation (RTU) pour encadrer l’utilisation hors AMM d’Avastin, RTU qui lui est attribuée en 2015 pour trois ans, renouvelée en 2018.
Stratégie de blocage
L’Autorité de la concurrence décide de focaliser son instruction sur les années 2008 à 2013, jusqu’à ce qu’un concurrent direct à Lucentis soit commercialisé en France – Eylea (aflibercept) de Bayer – et fasse chuter son prix. C’est une période suffisante pour que l’instance remarque la stratégie de communication de Novartis, « structurée et massive, visant à dissuader les médecins d’utiliser Avastin, à jeter le discrédit sur ce médicament auprès des associations de patients et du grand public », en exagérant notamment les risques liés à la pratique du hors AMM et en citant pour l’exemple l’affaire Mediator. L’Autorité de la concurrence fustige aussi la « stratégie de blocage » des trois laboratoires auprès des pouvoirs publics : refus de fournir des échantillons pour les études scientifiques, présentation biaisée des études de comparaison des deux spécialités, obstacles aux initiatives visant à sécuriser l’utilisation d’Avastin. « Ces pratiques ont abouti : les prescriptions d’Avastin, qui ont pu atteindre jusqu’à 15-20 % dans la DMLA, ont été réduites à néant et les laboratoires ont garanti leurs profits en maintenant la préférence pour Lucentis à un prix élevé, au détriment des comptes sociaux. » Un préjudice qui n’a pas été estimé par l’instance.
L’ensemble de ces griefs, appuyé par une instruction de plus de 6 ans, a amené l’Autorité de la concurrence au calcul de lourdes amendes : plus de 385 millions d’euros pour Novartis et près de 60 millions d’euros pour Roche/Genentech. « On ne remet pas en cause le fait que les laboratoires défendent leurs intérêts économiques, mais ils ne peuvent utiliser n’importe quel moyen comme dénigrer un autre traitement ou tromper les pouvoirs publics ou les consommateurs », conclut Isabelle de Silva, qui s’attend à ce que les trois groupes pharmaceutiques entreprennent un recours. Cette décision est la 4e que l’instance prend à l’encontre d’un laboratoire pour pratique anticoncurrentielle. Les précédentes ont concerné le Plavix (Sanofi) en 2013, le Subutex (Schering-Plough et Reckitt Benckiser) en 2013 et le Durogesic (Janssen-Cilag et J & J) en 2017.
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