Il n’y avait que deux pharmaciens à la barre du tribunal correctionnel de Nevers. Aucun des viticulteurs auxquels ils étaient censés avoir vendu plusieurs centaines de litres de glycérine n’avait été cité. Pas davantage de preuves. Les « fraudes » sur quelque 60 000 bouteilles de Sancerre potentiellement « coupées » avec de la glycérine n’avaient pu être établies.
L’affaire démarre en septembre 2010, sur un simple contrôle fiscal, lors de la vente de l’officine d'un pharmacien dans la Nièvre. Les enquêteurs relèvent alors des volumes importants de vente de glycérine, 734 litres, pour une période située entre 2008 et 2010. L’enquête auprès du fournisseur les mène vers un autre pharmacien, titulaire dans le Cher, qui écoule, quant à lui, en moyenne 40 litres de glycérine par an.
Dans cette région viticole, les soupçons se portent rapidement sur un lien possible entre les deux pharmaciens et l’approvisionnement de viticulteurs locaux désireux d’arrondir leurs crus de Sancerre.
Non toxique et totalement soluble
Lors de l'audience, fin novembre, les deux officinaux se retrouvent seuls face à un procureur de la République qui les accuse « d’arrangements crapuleux entre notables de province ». Le terme de « voyous » tombe également à l’adresse des deux titulaires. À la suite de ce réquisitoire virulent, un an de prison avec sursis, 25 000 euros d’amende et une interdiction définitive d’exercer sont requis contre le premier pharmacien, huit mois de prison avec sursis, 15 000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction d’exercice contre le second.
À noter que l’Ordre des pharmaciens ne s’était pas porté partie civile. Ce dernier point n’est pas anodin. Tout comme l’absence de toxicité du produit incriminé qui va peser en faveur des pharmaciens. « La glycérine est d’ailleurs en vente libre. Elle ne fait pas l’objet de recommandations particulières de l’Ordre des pharmaciens », remarque Me Jean-Michel Fleurier, avocat à Bourges et défenseur du titulaire du Cher. Alors qu’il est reproché à son client une infraction pénale au prétexte qu’il savait que la glycérine vendue servirait à falsifier le vin, l’avocat plaide l’incapacité de son client à suivre les agissements de ses clients : « dès lors qu’un produit peut être vendu sans restriction, le pharmacien ne peut pas être derrière chaque client pour vérifier l’usage qu’il en fera ».
Du reste, pas de trace de la glycérine. Elle semble s’être volatilisée. Et pour cause. Dépêchés dans les chais, les services de la douane n’ont pu détecter aucun résidu de ce produit qui se confond au glycérol, naturellement présent dans le vin. « Aucune des expertises auxquelles il a été procédé, n’a pu établir la présence d’une substance exogène », relève Me Eugène Bangoura, avocat du pharmacien de la Nièvre.
Quand bien même elle eut été prouvée, aucun avis réglementaire ne se prononce définitivement sur l’emploi de la glycérine dans le vin. D'ailleurs, relève Me Fleurier, « ces mêmes textes, sur lesquels le parquet appuie ses accusations, notent que, à faible teneur, l'usage de la glycérine est toléré pour les vins de table ». « Par conséquent, comme rien dans l'enquête n’a pu être retenu contre les viticulteurs, ce sont les pharmaciens qui ont trinqué ! », lâche Me Bangoura.
Un dernier argument de taille intervient en faveur des pharmaciens. Non seulement aucune trace de glycérine n’avait pu être relevée chez les viticulteurs, mais surtout le Sancerre réclame plutôt de l’acidité, de la fraîcheur. Il n'y a donc aucun intérêt à l’arrondir, à la différence de certains crus du Bordelais qui ont récemment défrayé la chronique. Les deux pharmaciens ont finalement écopé d’une amende respective de 5 000 et de 3 000 euros.
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