CET ARRÊT n’est pas véritablement une surprise, dans la mesure où il reprend les conclusions de l’avocat général de la Cour, Miguel Poiares Pessoa Maduro, qui avait déjà, le 30 septembre 2009, considéré que ces quotas étaient légitimes lorsqu’ils répondaient à des impératifs de santé et de bonne distribution des services dans la population (voir « le Quotidien » du 5 octobre 2009).
L’affaire, jugée mardi dernier, a débuté en 2002, lorsque deux pharmaciens espagnols ont voulu créer leur officine dans la Communauté autonome des Asturies, une petite région du nord-ouest de l’Espagne, mais se sont vus opposer un refus au motif, notamment, qu’ils n’avaient pas exercé auparavant dans cette région, ce qu’exige la réglementation locale. En effet, le système de santé espagnol, très fortement régionalisé, dispose de nombreuses législations régionales de ce genre, y compris en matière de pharmacies. Les deux pharmaciens ont estimé que le refus des autorités régionales asturiennes constituait une entrave à la liberté d’installation prévue par l’Union européenne. Ils ont donc saisi les tribunaux régionaux asturiens, lesquels ont demandé un avis à la Cour européenne avant de se prononcer.
Un système complexe.
La planification des pharmacies en Asturies obéit à un système complexe associant quotas géographiques à d’autres mesures. La règle de base est qu’on ne peut y créer une pharmacie à moins de 250 mètres d’une autre, et que chaque pharmacie doit disposer d’un bassin de population d’au moins 2 800 habitants. Une règle que l’on retrouve d’ailleurs, avec quelques variations, dans l’ensemble de l’Espagne. La règle des 2 800 habitants peut néanmoins être assouplie dans certaines zones géographiques particulières, notamment les zones très densément peuplées ou, au contraire, faiblement habitées. En outre, il existe un système de « points » pour départager les candidats aux créations, dont la fameuse règle selon laquelle les pharmaciens ayant longtemps exercé en Asturies sont prioritaires sur les autres.
Si les deux pharmaciens espagnols « recalés » ont protesté avant tout contre cette règle de l’ancienneté, le tribunal des Asturies a demandé à la Cour européenne de se prononcer sur l’ensemble des restrictions à l’installation, et c’est bien pour cela que l’affaire concerne tous les pharmaciens européens.
Justifications sanitaires.
La jurisprudence européenne, notamment depuis le fameux arrêt sur le capital des pharmacies italiennes de mai 2009, considère que les restrictions à l’installation des professionnels de santé, constituent certes des entraves aux traités européens, mais peuvent être justifiées dès lors qu’elles visent à protéger la santé publique ou un accès cohérent des patients aux services de santé. Il faut toutefois, rappelle-t-elle, que ces mesures de restriction soient équitables et indispensables au bon fonctionnement des services de santé. Elles ne doivent pas non plus être disproportionnées par rapport à l’objectif recherché, ni pouvoir être remplacées par des mesures moins contraignantes.
La Cour a repris une argumentation comparable pour les restrictions par quotas géographiques, tout en estimant que la pertinence des exceptions à la règle des 2 800 habitants et des 250 mètres, appréciée en fonction de critères propres aux Asturies, doit être vérifiée et justifiée par les autorités compétentes. En revanche, elle considère que le fait de donner la « priorité » de créations aux pharmaciens travaillant depuis longtemps dans la région est une entrave aux règles européennes sur la liberté d’établissement, car elle désavantage clairement les pharmaciens, non seulement espagnols, mais de toute l’Union qui, pour des raisons évidentes d’origine, n’ont pu travailler aussi longtemps en Asturies que leurs confrères qui y ont toujours vécu.
Cela signifie concrètement que, si les États souhaitent conserver des règles de répartition, celles-ci peuvent exister tout en étant conformes au droit européen, à condition d’avoir des justifications sanitaires réelles. Outre la confirmation des règles de quotas géographiques, cet arrêt vient consolider encore un peu plus la jurisprudence qui fait de la santé et des professionnels de santé un secteur un peu à part de la construction européenne… sans pour autant l’en exclure.
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