« Je me tape des corporatismes. » La petite phrase choc d’Emmanuel Macron, lors d’une interview menée par des lecteurs du « Parisien » en avril dernier, a marqué les esprits. Il répondait à la nécessité de donner un coup d’accélération à « la délégation d’actes » tels que « la prescription de certains médicaments » par les pharmaciens.
De fait, cette possibilité de prescrire à l’officine a fait doucement son chemin, débutant avec la mise à disposition de la contraception d’urgence sans prescription médicale dès 1999, intégralement prise en charge par l’assurance-maladie pour toutes les mineures depuis 2020 et pour toutes les femmes depuis le 1er janvier dernier. Une évolution applaudie par le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, Philippe Besset, il y a tout juste un an : « Le pharmacien pouvait déjà prescrire et délivrer la pilule du lendemain à toutes les femmes, la différence c’est que désormais les plus et les moins de 18 ans bénéficieront de la même prise en charge à 100 % par l’assurance-maladie. J’espère que ce parcours patient en accès direct au médicament avec prise en charge par l’assurance-maladie servira d’exemple, notamment dans la cystite. »
Un pas de plus a été franchi en 2021 avec la dispensation protocolisée, permettant au pharmacien de délivrer certains antibiotiques dans la cystite et l’angine, selon un protocole balisé par la Haute Autorité de santé (HAS), lorsqu’un médecin accepte de réaliser cette délégation de tâche et dans le cadre d’un exercice coordonné en maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) ou en centre de santé. Dispensation protocolisée, délégation de tâches… Des mots soigneusement choisis pour ne pas heurter les corporatismes. Malgré un nouveau coup de boost donné par la mission flash urgences de François Braun au cours de l’été 2022, ouvrant six protocoles de soins non programmés aux pharmaciens et infirmiers faisant partie d’une communauté professionnelle de territoire en santé (CPTS), seules une vingtaine de pharmacies ont participé à ce dispositif. Les confrères ont pointé le frein de l’appartenance à une MSP ou une CPTS, dans laquelle au moins un médecin est partant pour déléguer vers un pharmacien. S’y ajoutait « un mode de rémunération d’une complexité rare », avait témoigné Jocelyne Wittevrongel, l’une des pharmaciennes qui a tenté l’aventure : « Il faut envoyer une fiche récapitulative à la CPTS qui va ensuite envoyer un bordereau à l'assurance-maladie, se faire payer, puis payer le duo médecin-pharmacien en retour… Sans compter que les tarifs ne sont pas les mêmes selon les CPTS, ce qui est complètement aberrant. Il serait bien plus pertinent d'en faire un acte propre, avec un arbre décisionnel, un code acte… et permettre ainsi aux officinaux de le faire de manière autonome. »
Hors exercice coordonné
La profession n’a eu de cesse de demander la levée de ces freins entraînant une inégalité d’accès aux soins sur le territoire. L’idée a fait son chemin, jusque sur les lèvres du Président de la République en avril dernier. Fin juin, c’était au tour de Thomas Fatôme, le patron de l’assurance-maladie, de dévoiler aux syndicats sa volonté d’inscrire dans le futur projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, la prescription par le pharmacien d’antibiotiques après un TROD angine ou cystite positif, hors exercice coordonné. « C’est la fin des protocoles de délégation », se félicitait alors Philippe Besset. Annonce confirmée le 31 août dernier par la Première ministre, Élisabeth Borne, lors d’un déplacement à Rouen (Seine-Maritime) en compagnie du ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, et de la ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé, Agnès Firmin-Le Bodo. « Depuis un an, on a permis la délégation de 20 actes, par exemple (…) la possibilité pour les pharmaciens, les infirmiers, les sages-femmes de vacciner. On va élargir ces délégations à deux maladies du quotidien, les angines et les cystites. Désormais, vous pourrez aller directement chez votre pharmacien qui pourra réaliser un test et vous poser les bonnes questions, et le cas échéant vous délivrer un antibiotique. C’est le résultat d’une bonne coopération entre les différents professionnels de santé, et pour les Français ce sont des réponses en proximité plus rapides. »
Ce n’est jamais, dans les faits, qu’une généralisation à toutes les officines de ce que pouvaient déjà faire les pharmaciens en MSP et CPTS, qui serait donc possible hors exercice coordonné et sans délégation du médecin vers le pharmacien. Prévu dans le PLFSS 2024 qui n’a pas encore été présenté, le projet vise à conserver les exigences actuelles : formation préalable de l’effecteur, information du médecin traitant, respect des protocoles nationaux validés par la Haute Autorité de santé (HAS) qui permettent de déterminer quand délivrer un traitement (et si oui lequel) ou quand réorienter le patient vers un médecin. Seule inconnue : la rémunération. Jusqu’alors la mission était rémunérée 25 euros, à répartir entre le médecin déléguant et le pharmacien délégué. Sans délégation, il y a peu de chance que la rémunération reste à ce niveau, prédit Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats des pharmaciens d’officine (USPO). Elle fera partie des négociations économiques à venir à l’automne entre l’assurance-maladie et les syndicats.
Désamorcer la polémique
Il n’est pas impossible que cette nouvelle compétence de prescription pharmaceutique soit étendue, dans les années à venir, à d’autres pathologies pour lesquelles un TROD existe. Désormais considéré comme un outil de santé publique pour lutter contre les pénuries et pour le bon usage des médicaments, le TROD a lui aussi de beaux jours en perspective. Ainsi la loi du 19 mai dernier, « portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé », contraint-elle le ministre de la Santé à publier chaque année un arrêté listant les TROD qui peuvent être utilisés par les professionnels de santé. En outre, précise Pierre-Olivier Variot, le gouvernement envisage d’introduire une mesure dans le prochain PLFSS exigeant la remise d’une ordonnance conditionnelle pour toute pathologie pour laquelle un TROD existe. La délivrance des médicaments prescrits serait alors conditionnée à la réalisation dudit TROD et à son résultat.
À ce stade, la perspective d’une prescription par le pharmacien après un TROD positif est accueillie à bras ouverts par les patients, en particulier les femmes qui connaissent la douleur de la cystite et l’impossibilité de décrocher un rendez-vous médical rapidement. Et par la profession. Dans un communiqué commun, la FSPF, l’USPO, l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF) et le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) applaudissent « une réponse pertinente aux enjeux actuels de santé publique » qui « repose sur des données probantes quant à son efficacité et sa sécurité, tirées d’expériences réussies dans d’autres régions du monde ». Mais après l’extension des compétences vaccinales le 9 août dernier et les perspectives quant à la prescription de substituts nicotiniques par le pharmacien dans le futur plan cancer 2023-2028, la prescription pharmaceutique provoque la levée de boucliers habituelle chez les prescripteurs historiques par la voix de leurs syndicats (voir page 5). Les représentants de l’officine tentent de désamorcer la polémique et rappellent que « 8 millions de Français n’ont pas de médecin traitant, ce qui souligne l’importance de partager la prescription entre professionnels de santé, dans le respect des compétences de chacun ». D’autant que, ajoutent-ils, « en tant qu’experts en matière de médicaments, les pharmaciens sont parfaitement qualifiés pour relever avec succès ce nouveau défi ».
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