Rebondissement au Sénat. Les sénateurs ont adopté le 11 avril dernier la proposition de loi (PPL) tendant à préserver l’accès aux pharmacies dans les communes rurales, sans tenir compte des remarques et des alertes de l’Ordre des pharmaciens et des syndicats représentatifs de la profession, ni des larges modifications apportées par les membres de la commission des affaires sociales et des sénatrices à l’origine de la PPL. Résultat : cette PPL met le réseau en péril, sur plusieurs points.
Contreproductif
Tout d’abord, les sénateurs sont revenus à la version initiale de la PPL et ont réinstauré l’assouplissement des règles d’installation sur tout le territoire. Une mesure qui risque de déstabiliser le réseau, de l’avis de toute la profession, et que la commission des affaires sociales avait finalement supprimée. Concrètement, alors qu’aujourd’hui, dans les territoires fragiles, une officine pourrait être installée à condition qu’un ensemble de communes contiguës rassemblent au moins 2 500 habitants et que l’une de ces communes doit compter plus de 2 000 habitants, l’amendement de Cédric Vial (Savoie, LR) retire le critère de plus de 2 000 habitants dans l’une des communes regroupées et ne le limite plus aux territoires fragiles. « Seul le critère de la population municipale est pris en compte, alors que d’autres éléments contextuels pourraient utilement être considérés comme par exemple : la population touristique, la présence de zones d’activités, le passage d’axes routiers majeurs, les fonctions de centralité ou encore l’isolement géographique de la commune… », justifie Cédric Vial dans l’exposé des motifs, lui qui avait déjà déposé une PPL identique en 2022 « cosignée par 90 collègues sénateur de la majorité sénatoriale. » Le sénateur a voulu « mettre du contenu. »
« Je trouve incompréhensible que l'on soit revenu à la première version de cette proposition de loi, explique Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Autoriser des ouvertures de pharmacies dans des territoires aussi petits, c'est prendre le risque de déstabiliser le réseau et de faire mourir celles qui existent déjà. On risque de créer un surnombre comme dans les années quatre-vingt avec cette vague de créations dérogatoires que l'on avait vue alors. Ces petites pharmacies qui seraient créées n'auront pas les moyens financiers d'assumer les missions qui leur sont dévolues. Cette proposition de loi est donc dangereuse pour le réseau et je regrette que les sénateurs n'aient pas vu ce danger », poursuit-il. « Le sujet n’est pas d’ouvrir de nouvelles pharmacies mais de maintenir celles qui existent déjà et de pouvoir assurer leur transmission », répète, une nouvelle fois, Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Cet amendement tend à effacer la notion de territoire fragile », ajoute Frédéric Valletoux, ministre délégué à la Santé, également défavorable.
De l’aveu des syndicats, ce sont les sénateurs LR qui se sont sentis obligés d’agir, mais contre l’avis de la commission des affaires sociales, contre l’avis du gouvernement, et contre l’avis de la profession. « La réalité des difficultés des pharmacies en milieu rural est devant nous. Et c’est une telle réalité que de nombreux acteurs se sont saisis de cette problématique, ce qui fait naître des solutions d’un peu de partout et qui parfois sont contreproductives », explique Philippe Besset.
Le retour des annexes
Les sénateurs ont également jugé bon d’instaurer un assouplissement sur la création des annexes, ou antennes, de pharmacies. Aujourd’hui, la loi prévoit qu’une annexe de pharmacie peut être ouverte par un pharmacien titulaire dans une commune limitrophe. L’amendement de Daniel Chasseing (Corrèze, Les Indépendants – République et territoires), adopté le 11 avril, propose de permettre qu’une telle annexe puisse être créée par le pharmacien titulaire d’une officine située dans une commune non limitrophe ou plus éloignée, dans le cas où aucun pharmacien d’une commune limitrophe ou de l’officine la plus proche ne s’est positionné pour le faire.
Une mauvaise idée pour Pierre-Olivier Variot : « S'il n'y a pas de notion de distance, si on laisse des pharmacies éloignées ouvrir des antennes où elles le souhaitent, on risque de voir arriver des gros faiseurs qui vont ouvrir 5 ou 6 antennes et créer un véritable réseau. Ce n'est pas l'idée des antennes au départ. Il était question que ce soit des membres de l'équipe de la pharmacie mère qui soient présents au niveau l'antenne. Alors oui, si la pharmacie la plus proche est une petite structure et n'a pas les moyens de créer une antenne, pourquoi pas aller voir plus loin, mais sans notion de distance, on risque là aussi de déstabiliser le réseau. »
D’autant qu’une expérimentation sur les annexes de pharmacies est dans les tuyaux. Les syndicats ont été auditionnés par la direction générale de l’offre de soins (DGOS) le 28 mars et un cahier des charges est en cours de discussion. « Il y a un lobbying intense au niveau du nombre de régions retenues pour l’expérimentation », indique Philippe Besset. Leur nombre sera de toute façon limité, les syndicats tablant sur 4 ou 5 régions, et sur une douzaine de pharmacies retenues au total. L’expérimentation, qui consiste à la reprise d’une officine qui disparaît par une pharmacie de la commune voisine sous forme d’annexe avec un certain nombre d’heures ou de journées délégué à un pharmacien de son équipe, devrait débuter cet été et doit durer 2 ans. « Les antennes ne sont qu’une solution temporaire », souligne Philippe Besset, le temps de convaincre les professionnels de santé de revenir s’installer en zone rurale.
Recherche décret « territoires fragiles » désespérément
Tout n’est pourtant pas à jeter dans la proposition de loi votée par le Sénat. L’amendement de Maryse Carrère (Hautes-Pyrénées, RDSE – groupe à l’origine de cette PPL) assouplit les règles relatives au remplacement des titulaires et à la caducité des licences. Alors qu’actuellement le pharmacien titulaire ne peut se faire remplacer au-delà d’un an sauf si son état de santé l’exige (renouvellement pour un an maximum), la durée de remplacement pourra être portée à un an supplémentaire « lorsque ce renouvellement apparaît nécessaire pour ne pas compromettre l’approvisionnement nécessaire en médicaments de la population résidente. » De plus, cet amendement repousse d’un an le délai au bout duquel la cessation d’activité est réputée définitive avec perte de licence.
La bonne nouvelle : l’injonction au gouvernement de sortir le décret « territoires fragiles » avant le 1er octobre a été conservée. Ce texte doit donner les critères qui déterminent les zones fragiles pour dénouer la mise en place d’aides conventionnelles accordées aux pharmacies concernées. Un texte attendu avec impatience par les pharmaciens… depuis 6 ans, et en travaux depuis plus d’un an. La première version n’avait pas satisfait les représentants de la profession. La réunion à ce sujet prévue le 11 avril avec la DGOS a été annulée et reportée sine die.
« Avec le texte finalement adopté, un certain nombre de pharmacies auront certes la possibilité d’ouvrir en zone rurale, mais cela fragilisera celles qui y sont déjà implantées et ont du mal à équilibrer leur activité. Au moment du bilan, il faudra faire la balance entre les gains et les pertes, conclut le sénateur Philippe Mouiller (Deux-Sèvres, LR), président de la commission des affaires sociales du Sénat. Quoi qu’il en soit, je crains que cette proposition de loi n’ait pas d’avenir en dehors du Sénat et que nous n’atteignions nullement, en fin de compte, l’objectif initial. »
La PPL « pharmacies rurales » a été transmise à l’Assemblée nationale. Reste à savoir ce que vont en faire les députés.
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