Le Quotidien du pharmacien.- Quel est votre positionnement sur les fondamentaux de la pharmacie d’officine ?
Yannick Jadot.- La pharmacie joue un rôle essentiel et nous devons en garantir les piliers. La confiance que les citoyennes et citoyens portent aux officines ainsi que l'expertise des pharmaciens sont précieuses, elles doivent être valorisées. Nous pérenniserons et étendrons le rôle confié aux pharmacies dans la pandémie, notamment en termes de dépistage, comme cela peut être le cas avec l’évolution législative récente sur le dépistage du VIH-sida. Les pharmacies ont un rôle à jouer en matière de santé publique, d’information et sensibilisation en santé des citoyennes et citoyens. Nous élargirons les compétences des pharmacies à l’administration de vaccins, y compris les vaccins vivants atténués, nous les impliquerons dans toutes les opérations de prévention et de dépistage en les intégrant dans la définition du projet territorial de santé.
Nous ne remettons pas en cause le monopole pharmaceutique. Notre boussole, c’est de permettre à toutes et tous d’avoir accès sur tous les territoires à une offre de santé de qualité. Quant à la communication et la publicité des produits pharmaceutiques, elles font partie d’une logique économique de recherche du profit et la santé publique ne peut être basée sur cette logique. Nous poursuivrons les efforts de régulation par un droit limité à la communication/publicité.
Comment comptez-vous étendre le rôle confié aux pharmaciens pendant la pandémie ?
Pour les écologistes, la prévention est un pilier essentiel d’une politique de santé publique cohérente et efficace. Quand on n’a pas l’accompagnement de proximité pour des examens, orienter vers le médecin ou simplement répondre à des questions ou des inquiétudes, on est fatalement dans une logique de tout curatif. Je pense que le pharmacien a un rôle fondamental dans le déploiement de la prévention en ville. La crise sanitaire a montré à quel point l’officine pouvait être utile et réactive face aux dérèglements du système de santé. Nous défendons la possibilité pour les pharmaciens de réaliser les examens de dépistage pour les petites infections ou pour les pathologies dans lesquelles les tests sont simples et les résultats sûrs. Je sais que c’est déjà le cas pour certaines infections urinaires, nous proposerons plusieurs expérimentations dans le domaine du dépistage.
L’inflation des consultations, renforcée par l’avènement des téléconsultations, pose une vraie question économique. Nous devons ouvrir la possibilité au pharmacien de délivrer les traitements de premier recours sur certaines indications, à charge pour la CNAM d’en déterminer la liste. La dispensation des substituts nicotiniques était une avancée utile, la possibilité de prolonger l’ordonnance dans le cadre d’une maladie chronique aussi. Je ne vois pas pourquoi les pharmaciens ne pourraient pas assurer demain la délivrance d’amoxicilline après un dépistage d’angine par exemple.
Sur le dossier de la désertification médicale, envisagez-vous une aide aux pharmaciens installés en zones sous-dotées ?
Les pharmacies dépendent du système de santé. S’il n’y a pas de prescription, les chances qu’il y ait un pharmacien sont minces. Notre projet vise à lutter contre les déserts médicaux à travers l’augmentation des effectifs et la régulation de l’installation le temps qu’une nouvelle génération soit formée. Sur le long terme, les dispositifs de rémunération forfaitaire ne seront donc pas utiles.
Le temps de résoudre le problème central des déserts médicaux, des dispositifs de financement complémentaire pourront être versés aux pharmacies pour qu’elles restent ouvertes dans les zones sous-dotées en médecins. Nous aiderons également à l’installation dans les zones sous-dotées, en lien avec le soutien à l’installation de maisons de santé, via la réforme de l’organisation de la santé.
Pensez-vous restructurer l’organisation des soins et de la santé dans les territoires, notamment en réformant les ARS ?
En matière d’organisation du système de santé, je défends une logique ascendante. Si la santé est un bien commun et qu’elle est une nécessité, alors on ne peut plus la conditionner au budget disponible. Qui imaginerait demain ne pas pouvoir voter à une élection par manque de bulletins ? Nous proposons donc de redessiner les contours du système actuel. Pour cela, il faut que le système de financement prenne en compte les besoins réels de la population. Nous créerons donc une collectivité de santé, organisée autour des bassins de vie, sur une échelle de 100 000 à 150 000 personnes. Cette collectivité aura trois missions : définir un projet de santé qui tienne compte des spécificités et besoins locaux, favoriser la coordination des acteurs locaux (renforcement des CPTS, mise en place d’ESCAP, de MSP et autres) et mener la politique de prévention. Elle intégrera les représentants des acteurs de santé et du médico-social locaux, les directeurs des établissements publics et privés, les usagers et les élus des collectivités. Cette collectivité de santé collaborera avec l’agence régionale de santé qui centralisera les demandes budgétaires et construira un projet de santé régional. L’ARS deviendra un partenaire de la politique publique produite depuis la base, elle se dotera d’une gouvernance paritaire entre l’État et les régions.
Nous réformerons donc les ARS. Car si l’État est garant de l’équité dans l’accès aux soins et à la prévention sur tout le territoire (donc garant d’un financement qui puisse répondre aux besoins), c’est aux territoires de piloter une offre qui soit au plus près des besoins. Aussi, nous proposons une nouvelle gouvernance territoriale associant les ARS - dont nous comptons modifier les missions pour les recentrer sur le contrôle et l’évaluation, la déclinaison d’initiatives nationales et la coordination de réponses à des urgences sanitaires - et cette collectivité de santé qui tiendra compte des spécificités du territoire (démographie, enjeux d’accès, conditions sanitaires particulières) et regroupera l’ensemble des institutions et professionnels de santé tous impliqués dans la définition des besoins et du plan d’action global de la collectivité.
Dans le domaine de l’interprofessionnalité, prévoyez-vous une simplification de l’exercice coordonné et des incitations financières plus conséquentes ?
L’exercice coordonné est la clé de l’amélioration du système de santé aussi bien dans la qualité de la prise en charge offerte aux patients qu’en termes de temps médical pour les professionnels. Nous défendons les ESCAP et l’incitation budgétaire à travers une augmentation de la rémunération sur objectif de santé publique (ROSP) avec le triumvirat essentiel : infirmière ou infirmier, médecin, pharmacienne ou pharmacien.
Le déploiement du numérique en santé sera-t-il poursuivi sous votre mandat ?
Nous soutenons la mise en place de Mon espace santé et il faut lui souhaiter la réussite que le dossier médical partagé (DMP) n’a pas eue. La carte de la fracture numérique en France est la même que celle des déserts médicaux. Si l’idée est de développer la e-santé, cela ne doit pas se faire pour de fausses raisons. Le numérique est un outil très pratique pour la santé (téléconsultation, regroupement des données de santé, carnet vaccinal, e-prescription), c’est entendu. Mais on ne peut oublier que la numérisation du parcours de santé a aussi pour effet d’éloigner plus encore celles et ceux déjà les plus éloignés de l’accès aux soins. Nous poursuivrons le déploiement du numérique, notamment pour faciliter les démarches administratives, en encadrant ses usages, en protégeant les données de santé des citoyennes et citoyens, mais nous voulons aussi garantir à toutes et tous sur le territoire, y compris sans numérique, l’accès aux services de santé (consultation, carnet de santé…). Nous mettrons en place un accompagnement et une formation au numérique à destination des jeunes, aîné.e.s et personnes en difficulté. De même, nous poursuivrons l’encadrement de la vente en ligne de médicaments pour qu’elle ait lieu sous l’avis et l’autorité des docteur.e.s en pharmacie : le médicament n’est pas un bien de consommation courant.
Je m’inquiète de la sécurité des données et de la possibilité pour l’ensemble des acteurs de les lire. Il faut entendre les inquiétudes des patients atteints par le VIH d’apprendre qu’un dentiste par exemple pourrait connaître leur séropositivité et avoir à l’esprit les risques induits de discrimination. Nous devons donc réfléchir d’une part, à la meilleure manière de sécuriser les données en santé et de s’assurer que nul ne puisse en faire un usage commercial et, d’autre part, à permettre aux acteurs de santé qui en ont réellement besoin d’y avoir accès tout en les formant à la lutte contre les discriminations lorsque c’est nécessaire. Même si cela ne concerne qu’une minorité de professionnels de santé, nous devons l’intégrer dans nos politiques.
Que comptez-vous faire pour que la France joue à nouveau dans le concert des nations innovantes en matière de médicaments, d’essais cliniques, de R & D, d’investissements industriels et de relocalisation ?
Je veux favoriser la relocalisation en apportant une réglementation durable en matière de politique du médicament. La crise sanitaire a montré que nous avions besoin de produire sur notre territoire les médicaments et produits de santé essentiels. Il faudra donc déterminer quels principes actifs doivent être fabriqués en France ou à l’échelle de l’Union européenne et s’assurer que les entreprises s’y conforment. Pour y parvenir, je défends un levier principal : le bonus au local. Ainsi, qu’il s’agisse de commande publique par une collectivité ou de détermination du prix ou de l’assiette de remboursement, nous nous assurons dans la loi que soient favorisés les produits fabriqués localement. Certains médicaments matures peuvent aussi être produits par un laboratoire public. Nous devons tirer les leçons des modèles existants et être en mesure de créer des entreprises publiques chargées d’assurer le minimum vital à la nation. C’est un enjeu de sécurité sanitaire.
Plus généralement, il faut renforcer la transparence dans le circuit, depuis l’autorisation de mise sur le marché (AMM) jusqu’à l’inscription sur la liste des spécialités remboursables auprès du Comité économique des produits de santé (CEPS). L’objectif, c’est la recherche d’un prix juste, l’égalité entre les concurrents qui se fera aussi par la lutte contre les lobbys.
La capacité de la France à innover en matière de recherche pharmaceutique est liée à l’état de la recherche publique dans notre pays. D’ici à 2025, le budget de la recherche publique sera porté de 0,76 % à 1 % du PIB. Nous soutiendrons l’emploi public dans la recherche et mettrons fin aux évaluations quantitatives dans la recherche, car la recherche fondamentale doit être soutenue comme racine de l’innovation. Nous soutiendrons et plaiderons pour le renforcement de la politique sanitaire de l’UE, notamment en recherche et production pharmaceutique. Grâce à un impératif légal de transparence, nous mettrons en place une innovation saine en ce qui concerne l’industrie du médicament par le contrôle et la négociation éclairées des industries. Dès que nécessaire, nous utiliserons les flexibilités prévues dans les accords internationaux en termes de licence obligatoire pour autoriser des tiers à fabriquer un produit breveté sans consentement du titulaire du brevet.
La réforme des retraites est de nouveau sur la table. Que proposez-vous, en particulier pour les professions libérales comme les pharmaciens d’officine ?
Notre position de principe est claire : l’égalité dans l’ouverture des droits et la prise en compte de la réalité des carrières, en particulier de la pénibilité. Si une réforme est nécessaire, c’est celle qui doit remettre la pénibilité au cœur des régimes des retraites. Pour le reste, les chiffres et perspectives du Conseil d’orientation des retraites (COR) montrent clairement qu’il n’est pas nécessaire d’agir aujourd’hui sur l’âge légal de départ, d’autant qu’une proportion toujours importante de celles et ceux qui partent en retraite n’est déjà plus en situation d’emploi. S’agissant plus particulièrement du régime des pharmaciens, il est construit à la fois sur la répartition et la capitalisation et je sais que les professionnels y sont attachés. Si des discussions doivent être ouvertes, elles devront l’être en tenant compte de ce qu’est l’historique des différents régimes, mais aussi de l’enjeu de remettre de la justice entre ces régimes.
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