Selon Jean Castex, la France serait actuellement le deuxième pays au monde qui teste le plus sa population contre le Covid. Si les données de « Our World in Data » (arrêtées au 30 décembre) montrent que nous occupons en réalité le septième rang (derrière le Danemark, le Portugal ou encore le Royaume-Uni), le nombre de tests a effectivement explosé ces derniers jours. Entre le 31 décembre et le 6 janvier, près de 9,5 millions de tests ont été réalisés, dont 6,65 millions de tests antigéniques, détaille la Direction générale de la santé (DGS). À ces chiffres s'ajoutent les 2,7 millions d'autotests distribués par les pharmaciens pour les cas contacts entre le 3 et le 7 janvier. Et l'on ne compte même pas les autotests vendus en GMS…
« La pire période depuis le début de la crise du Covid »
Dans son officine de Saint-Pons-de-Thomières, village blotti au pied des montagnes de l'Hérault, Sylvie Cerdan subit quotidiennement les effets de cette ruée vers les tests Covid. « On ne peut plus faire correctement notre travail de pharmacien. Pour moi, c'est la pire période en officine depuis le début de la crise », estime-t-elle. Depuis les fêtes de fin d'année, Sylvie Cerdan a l'impression de vivre un jour sans fin. « On a arrêté de tester sur rendez-vous, il y a trop de cas contacts. Si ça continue à ce rythme, on devra garder une ou deux journées sans test car ce n'est plus possible, cela empiète trop sur le reste. J'ouvre même le dimanche, de 10 heures à 12 heures. »
Pour la pharmacienne héraultaise, ce ne sont cependant pas les tests en eux-mêmes qui coûtent le plus de temps et d'énergie. « Les bugs sur SI-DEP et la paperasse, c'est ça le problème. Depuis qu'on doit délivrer deux autotests aux cas contacts, il faut scanner deux papiers, vérifier et aider les patients à remplir les attestations sur l'honneur… En tout, sur 5 membres de l'équipe, l'un teste, deux s'occupent de la saisie informatique et de l'administratif et seulement deux personnes pour faire tout le reste. Les tests nous ont obligés à rogner sur la vaccination car nous n'avons en plus qu'un seul et même local pour pratiquer les deux. Les préparatrices qui travaillent avec moi sont à bout. Dans l'équipe, il y a eu des petites tensions ces derniers temps alors que ça n'arrivait jamais avant. J'ai peur que certaines finissent par craquer », s'inquiète-t-elle. « Un ancien camarade de promotion, titulaire lui aussi, m'a envoyé un SMS il y a quelques jours alors qu'il ne m'avait pas contactée depuis 4 ou 5 ans. Il m'a écrit " je n'en peux plus, j'envisage la retraite anticipée ", je me suis demandé si ce n'était pas une sorte d'appel à l'aide. »
« On en demande trop aux pharmaciens »
Pour Sylvie Cerdan, le constat est clair « On en demande beaucoup trop aux pharmaciens actuellement », surtout depuis que les enfants affluent à l'officine. Elle se demande si les syndicats ont conscience de l'enfer que subissent aujourd'hui ses confrères et consœurs. « Avec tous ces tests, on n'a de plus en plus de mal à gérer le reste. Récemment, on s'est trompé sur le dosage du Lévothyrox d'un patient. Son épouse s'en est rendue compte, elle nous a appelé en nous disant " mon mari sait que vous êtes débordée, il ne vous en veut pas"… mais on culpabilise. » Sur les réseaux sociaux, elle sent la colère monter. « Des pharmaciens parlent de grève, de se rebeller, mais sans pénaliser les patients, juste pour montrer qu'on en a ras le bol. »
Le cauchemar des bugs SI-DEP
À Strasbourg, Guillaume Kreutter s'apprêtait à passer des fêtes de fin d'année sportives. Mais, le 17 décembre, la nouvelle est tombée. Le pharmacien alsacien est positif au Covid. « On a été obligé de se réorganiser entre le 17 et le 27 décembre. Mon équipe a dû pratiquement arrêter de faire des tests, car nous ne sommes que 5 au total. Nous en avons réalisé uniquement pour les patients symptomatiques, on était tombé à 20 par jour. » De retour aux affaires, Guillaume Kreutter a été pris dans le tourbillon des tests. « Je fais environ 100 TAG par jour, je délivre entre 50 et 100 boîtes d'autotests quotidiennement, je les réserve aux cas contacts parce que sinon je n'en aurais pas assez. On doit passer 15 minutes à expliquer les règles, les mesures d'isolement… C'est le flou artistique autour des protocoles, le gouvernement annonce quelque chose un dimanche après-midi pour application le lendemain. Il faut prendre le temps d'expliquer aux patients, mais le plus lourd reste l'administratif. » Comme sa consœur de l'Hérault, Guillaume Kreutter n'en peut plus des « plantages » incessants de SI-DEP. « Ça nous tue, il faut expliquer aux gens pourquoi ça ne marche pas, noter les résultats sur un papier, finir la saisie tard le soir ou tôt le lendemain matin… et c'est la même chose pour la vaccination avec SI-VAC. »
Face à toutes ces difficultés, des officinaux pourraient-ils décider d'arrêter les tests ? « Je ne sais pas si certains d'entre nous iront jusque-là mais il faudra peut-être prioriser les tests à un moment. On n'arrive pas à recruter. On autorise la vente des autotests en GMS… Il y a beaucoup de cas positifs ou contacts dans les équipes et je sens un peu de découragement. » Les officinaux ne sont pas les seuls à être stressés en ce moment. Chaque jour, le pharmacien strasbourgeois voit des patients énervés, désagréables, y compris entre eux. « Dans la file d'attente, les patients se parlent mal, ils se méfient les uns des autres. Quand on doit en refuser parce qu'il est tard et qu'on doit fermer, ils s'en prennent à nous. J'ai déjà été insulté. »
« Je vais t'éclater la gueule contre le placo »
Les insultes et les menaces, de nombreux pharmaciens en sont victimes depuis la crise et encore davantage depuis l'emballement autour des tests. Alain Marcillac, référent sécurité du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (CNOP), cite deux exemples récents. « Dans le Val-de-Marne, un patient n'a pas accepté le résultat (positif) de son test, il est revenu et a cassé la vitrine de l'officine en fonçant dessus avec son scooter. Dans le Var, une personne, qui avait oublié sa carte Vitale et ne comprenait pas pourquoi son test antigénique ne pouvait pas être pris en charge, a mis à sac la pharmacie et s'en est pris à la titulaire. Elle a des bleus sur le corps et s'est retrouvée avec plus de 8 jours d'ITT (interruption temporaire de travail). »
Sur les réseaux sociaux, les témoignages de pharmaciens pris à partie se multiplient. Des patients vont parfois jusqu'à faire un rapprochement particulièrement douteux entre l'introduction d'un écouvillon dans une narine et une pénétration non consentie. « Un mec m’a dit que je le violais et qu’il allait m’éclater ma gueule contre le placo si je lui faisais mal (...) il m’a pris le poignet quand je m’approchais du nez et il m’a menacé », raconte une pharmacienne sur Facebook. Interpellé par ces témoignages de violence, Alain Marcillac espère que le nombre de tests va baisser dans les prochains jours.
Protocole sanitaire à l'école : la goutte d'eau qui fait déborder le vase
Si le nombre de tests a crû ces derniers jours dans de telles proportions, c'est notamment à cause des consignes données juste avant la rentrée pour les enfants scolarisés déclarés cas contacts. Selon la DGS, entre 3 et le 7 janvier, plus d’un test sur quatre concernait en effet les enfants. Conscient des complications créées par le nouveau protocole sanitaire appliqué aux écoles, Olivier Véran a confirmé le 10 janvier devant la Commission des affaires sociales du Sénat que les pharmaciens « seraient autorisés à employer des infirmiers ou d'autres soignants pour tester » et qu'ils pourraient « avoir plusieurs tentes devant l'officine, voire de véritables barnums de dépistage ».
Ce même jour, dans le « 20 heures » de TF1, le Premier ministre a annoncé un énième changement de protocole pour les écoles : les enfants déclarés cas contact n'auront plus à faire de tests antigéniques ou PCR à J0 pour pouvoir rester en classe. Trois autotests (à J0, J +2 et J +4) et des attestations sur l'honneur suffiront. Un allègement qui devrait en partie soulager les pharmaciens, nombreux à témoigner des difficultés à réaliser des tests antigéniques sur des enfants qui pleurent et qui s'agitent. Désormais, la question de la disponibilité des autotests est encore plus cruciale. Si, pour le ministre de l'Éducation nationale, Jean Michel Blanquer, « cela va tenir » au niveau de la logistique, avec notamment l'envoi de 11 millions d'autotests aux officines, il admet que « sur le plan humain, tout le monde est fatigué. Il faut se serrer les coudes, être unis », exhorte-t-il. Plus facile à dire qu'à faire.
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