C’est un projet de longue haleine qui voit finalement le jour. De l’idée à la mise en pratique, il aura fallu plus de trois ans. Coupée dans son élan par deux ans de pandémie, le temps nécessaire à l’adaptation des procédures dans les établissements et les nécessaires échanges avec l’assurance-maladie, l’expérimentation OCTAVE* menée en Bretagne et dans les Pays de la Loire est ambitieuse.
Son objectif est d’offrir au patient âgé « une organisation basée sur l’intelligence collective, innovante et coordonnée pour l’efficience de sa prise en charge médicamenteuse dans son parcours ville-établissement de santé-ville », peut-on lire dans le cahier des charges. Portée par les Unions régionales des professionnels de santé (URPS) pharmaciens des deux régions et l’Association OCTAVE en partenariat avec les URPS médecins, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, elle compte actuellement 12 établissements de santé participants et vise à recruter 10 000 patients en amont et en aval d’une hospitalisation programmée sur trois ans.
« Des professionnels de santé de différentes origines ont souhaité trouver une solution aux dysfonctionnements constatés dans le parcours de soins des personnes âgés, que ce soit en termes de rupture de prise en charge, d’informations qui ne circulent pas et donc d’erreurs médicamenteuses et de réhospitalisations. Un constat que l’on fait partout en France en raison d’un système de santé cloisonné. Or cette mauvaise prise en charge a des répercussions sur le patient et sur l’assurance-maladie, sans compter l’insatisfaction des professionnels de santé », explique Axel Carde, pharmacien coordinateur du projet.
Valoriser les métiers
Au vu de la problématique, ce sont d’abord les pharmaciens hospitaliers et d’officine qui se mettent autour d’une table pour dessiner le parcours patient idéal. Rapidement, ils se rendent compte, aidés par Claude Dussart, directeur du laboratoire Parcours santé systémique à l’université de Lyon, que ce parcours doit être construit en pluriprofessionnalité. « C’est là que la graine a pris avec des médecins, des infirmiers, des pharmaciens, des patients ; chacun s’est nourri du regard et de l’expérience de l’autre. Il n’y a eu aucun blocage ou corporatisme, la volonté étant de respecter le rôle de chacun et de valoriser les métiers », ajoute Axel Carde. Le parcours idéal (voir infographie) s’appuie sur les compétences de chaque professionnel et sur la transmission des informations grâce à l’implication d’un partenaire supplémentaire, la société MaPUI Labs, à l’origine de la plateforme web HospiVille, qui permet de sécuriser et coordonner la prise en charge médicamenteuse du patient entre la ville et l’hôpital.
Pour le pharmacien de ville, il s’agit de réaliser un bilan médicamenteux avant hospitalisation qu’il met à disposition sur l’application HospiVille, ce qui permet à l’anesthésiste d’en prendre connaissance avant la consultation préanesthésique, tout comme à l’équipe hospitalière qui peut anticiper l’arrivée du patient et mettre en place un accompagnement pharmaceutique spécifique. « L’anesthésiste est le grand gagnant de cette organisation car, pour la première fois, il dispose d’un bilan exhaustif des traitements du patient, le pharmacien d’officine étant en capacité d’avoir les prescriptions du médecin généraliste et des spécialistes, mais aussi d’inclure la parapharmacie, par exemple de préciser la prise de millepertuis, bien connu pour perturber le métabolisme de certains médicaments. Pour l’anesthésiste comme pour le chirurgien, c’est une amélioration du niveau de sécurité de leurs actes », note Axel Carde.
Optimisation thérapeutique
Le pharmacien hospitalier transmet aux professionnels de santé de ville la fiche de conciliation des traitements médicamenteux lors de la sortie de l’hôpital du patient. « Cela permet par exemple de comprendre pourquoi il y a eu un changement de traitement et de l’expliquer au patient. » Le pharmacien d’officine réalise alors un bilan médicamenteux post-hospitalisation pour informer le patient de son nouveau traitement et faciliter son adhésion thérapeutique. À ce stade, le parcours idéal prévoit un accompagnement médicamenteux à domicile par un infirmier qui pourra préciser si la galénique est adaptée ou si le patient adhère bien à son traitement. « Pour des raisons techniques les infirmiers ne pouvaient pas encore accéder à l’appli HospiVille mais cela n’est plus le cas depuis ce mois de septembre », se réjouit Axel Carde.
Enfin, à 30 jours de la sortie d’hospitalisation, le pharmacien d’officine reçoit à nouveau le patient pour effectuer un bilan partagé de médication (BPM). « Cet acte conventionné est encore peu utilisé. Avec l’expérimentation OCTAVE, le pharmacien va pouvoir utiliser les informations transmises par l’équipe hospitalière et par l’infirmier à domicile pour faire une proposition d’optimisation thérapeutique au médecin. Parce que le patient a des difficultés à déglutir, il peut proposer de modifier la galénique du paracétamol. Ou parce que le patient a des difficultés à lever le bras, il peut préconiser un spray à la place d’un collyre. Ce bilan à 30 jours permet de réexpliquer le traitement au patient à un moment où il y a souvent un arrêt de certains produits injectables pour réintroduire des médicaments par voie orale », remarque Axel Carde. La dernière étape du parcours est l’évaluation de son parcours par le patient, qu’il remet à son pharmacien d’officine, charge à ce dernier de le diffuser sur l’appli HospiVille.
Nouveaux modes de financement
« OCTAVE est non seulement ce parcours innovant associé à une plateforme numérique, mais aussi la volonté de l’assurance-maladie de financer de nouveaux modes de fonctionnement, il y a donc une rémunération au forfait pour chaque parcours réalisé correctement. Concrètement, pour le pharmacien d’officine, cela représente 60 euros pour les bilans pré et post-hospitalisation, 60 euros pour le BPM et une part variable que nous pouvons comparer à un intéressement est en discussion avec l’assurance-maladie. En effet, chaque parcours serait évalué sur la base de trois critères – la satisfaction du patient, la complétude du parcours et la complexité thérapeutique – et l’assurance-maladie pourrait verser jusqu’à 20 % de la somme déjà versée. »
Mais, ajoute Axel Carde, il n’est pas besoin d’évoquer la rémunération pour que les pharmaciens de ville adhèrent massivement au projet. Près de 150 officines participent déjà à l’expérimentation et les messages d’encouragement affluent. « L’action de pharmacie clinique les enthousiasme, les nouvelles missions sont valorisantes et entrent pleinement dans leur cœur de métier tout en jouant la coopération pluriprofessionnelle. Cela va dans le sens de l’évolution du métier de pharmacien d’officine », souligne le pharmacien coordinateur. Il espère par ailleurs que la date de fin d’expérimentation, initialement prévue en juillet 2023, sera repoussée à fin 2023. « La réponse nous sera certainement donnée à l’automne, lors de la remise du bilan intermédiaire de l’expérimentation demandé par le ministère de la Santé à un organisme indépendant. »
* Organisation coordination traitements âge ville établissements de santé.
A la Une
Gel des prix sur le paracétamol pendant 2 ans : pourquoi, pour qui ?
Salon des maires
Trois axes d’action pour lutter contre les violences à l’officine
Médication familiale
Baisses des prescriptions : le conseil du pharmacien prend le relais
Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens
Retraite des pharmaciens : des réformes douloureuses mais nécessaires