La soumission tardive du texte aux débats d’un parlement divisé n’augure rien de bon, un calendrier « dans la seringue » étant rarement favorable à l’administration de remèdes visionnaires. On voit mal comment sera financée l’intention louable du Gouvernement Barnier de donner la priorité à la santé, car tous les compteurs sont dans le rouge : le déficit de l’assurance-maladie sera « vraisemblablement » plus élevé que les 11,4 milliards d’euros attendus en 2024, comme l’a annoncé Thomas Fatôme, directeur général de l’assurance-maladie. Une fois de plus, le couperet risque de s’abattre sur le poste médicament, dont dépend près de 76,8 % de l’activité officinale en valeur.
Année olympique mais tristes records
Nul besoin même d’attendre le PLFSS 2025 pour constater que l’hallali a déjà sonné. En témoignent les baisses de prix record sur les médicaments depuis le début de l’année : 905 baisses avaient déjà été effectuées ou programmées sur les huit premiers mois de 2024 contre 414 sur les huit premiers mois de l’an dernier. Cela correspond à des économies pour l’État de 1,3 milliard d’euros (dont 824 millions d’euros pour la ville seule), en nette surexécution par rapport aux 850 millions d’économies prévus par la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2024. Certaines propositions du rapport « Charges et Produits » pour 2025, si elles venaient à se concrétiser, menaceraient aussi la pharmacie de ville. Ainsi la demande faite aux industriels de rembourser le surcoût de marge de distribution sur les traitements innovants pourrait les conduire à réduire les remises officinales sur d’autres produits…
Ponctionner les ressources vitales de l’officine, c’est fragiliser une économie déjà en crise. La marge brute de l’officine s’est dégradée de 5 % en 2023 et la trésorerie moyenne a baissé de 15 %, tandis que les charges de personnel ont augmenté de 12 %, révèle Fiducial. Selon KPMG, près de quatre officines sur dix (38,9 %) ont vu leur chiffre d’affaires diminuer entre 2022 et 2023 et plus de 73 % ont une évolution négative de leur marge en valeur. Pour les huit premiers mois de 2024, c’est un tableau en trompe-l’œil que dessine GERS Data : sous l’image rassurante d’un marché dynamique en valeur (+ 4,5 %) percent les signes de décroissance, dont celle des volumes de médicaments. Et les chiffres communiqués par les cabinets comptables à la journée de l’économie de l’officine du 18 septembre 2024 confirment la baisse continue de la rentabilité des officines, avec une marge brute globale tombée à moins de 30 % du chiffre d’affaires.
L’été a laissé un goût particulièrement amer aux officines parisiennes, qui n’ont pas bénéficié de l’euphorie des JO, loin de là : elles ont nettement sous-performé le marché, affichant même des baisses de chiffre d’affaires la semaine précédant la compétition : - 2,7 % contre + 4,1 % pour la France et jusqu’à - 29 % pour certaines officines proches des sites olympiques. Et pour les pharmacies lésées, les demandes d’indemnisation n’aboutiront qu’en 2025.
Ne pas se tromper de remède
Autre manque à gagner, cette fois pour tout le réseau : le chiffre d’affaires des produits de contraste (en grande partie exclus du circuit officinal depuis avril 2024), dévisse totalement, passant de 145 millions d’euros entre janvier et juillet 2024 à seulement 50 millions sur la même période en 2024 soit une chute de 65,5 %. Un coup de plus dans la coque d’un vaisseau officine, que ne renfloueront guère les subventions aux officines de petite taille dans les territoires dits « fragiles », zones qui restent à déterminer ARS par ARS.
Persister dans cet ajustement à marche forcée des comptes publics au détriment des pharmaciens, c’est prendre le risque d’accélérer le rythme des fermetures d’officine, et donc de dégrader l’accès de la population au médicament et aux soins de proximité. Persister dans l’impasse des baisses de prix sur les médicaments, notamment matures, c’est aggraver le risque de ruptures de stock, qui ont culminé à près de 5 000 en 2023 selon l’ANSM. Au contraire, il est urgent de développer la substitution des médicaments biosimilaires et celle des hybrides, afin de permettre une économie annuelle de l’ordre de 160 millions d’euros. C’est bien vers ce gisement inexploité d’économies que doivent se tourner en priorité les efforts collectifs pour la pérennité de notre système de santé.
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