L’arrivée de nouveaux traitements, et donc de nouvelles prises en charge, ont entraîné une chronicisation du cancer. La chimiothérapie per os se développe depuis les années 1990. La sortie de la réserve hospitalière est autorisée depuis 2004. Le troisième Plan cancer, qui couvre la période 2014-2017, encourage le virage ambulatoire en oncologie, rappelant l’importance d’avoir une coordination ville-hôpital structurée et d’impliquer les professionnels de santé de premier recours.
Force est néanmoins de constater le nombre limité de chimiothérapies à domicile : 17 000 en 2013 concernant 3 500 patients sur les 300 000 personnes recevant une chimiothérapie. Dans un rapport publié en mars 2015, la Haute Autorité de santé (HAS) regrette la répartition très inégale de la pratique en France, soulignant que 82 % des chimiothérapies pratiquées à domicile le sont en Ile-de-France, Rhône-Alpes, Limousin et PACA. Tout concorde désormais pour que la chimiothérapie à domicile se développe, selon la pathologie du patient, sa capacité à gérer sa maladie, ou en tout cas de son entourage à intervenir, et dès lors qu’une coordination des soins efficace peut être mise en place entre l’hôpital et la ville.
Plébiscitée par les patients, la chimiothérapie à domicile permet d’éviter les temps de transport et d’attente fatigants pour le malade, de favoriser son maintien dans un environnement familier et d’encourager la prise en main de sa santé. Autre avantage pour les pouvoirs publics : une chimiothérapie à domicile est beaucoup moins coûteuse qu’une hospitalisation. Côté inconvénients, la chimiothérapie orale offre une plus grande liberté d’action des patients, ce qui entraîne des risques liés à la toxicité, à la complexité des schémas posologiques, à la manipulation parfois complexe des produits, à la mauvaise observance ou au mésusage dont les conséquences peuvent être graves, et à l’élimination des déchets de soins. Certaines chimiothérapies intraveineuses peuvent aussi faire l’objet d’une hospitalisation à domicile (HAD).
Préparer l’arrivée du patient
Ces évolutions poussent le pharmacien d’officine à s’engager dans des réseaux de soins spécifiques. C’est le cas de Laurence Prost-Dame, titulaire depuis 2001 d’une officine dans le centre-ville de Lons-le-Saunier (Jura), située à proximité d’un centre hospitalier spécialisé dans les cancers du sein et digestif. Elle a vécu les premières sorties de la réserve hospitalière de manière erratique. « Le patient arrivait avec l’ordonnance de produits qu’on ne connaissait pas, très chers, que nous n’avions pas en stock, à la posologie et au mode d’action très particuliers. Au fil des années, on a constaté une montée en charge de ces prescriptions. » Laurence Prost-Dame a suivi un DU en cancérologie et compte inciter d’autres membres de son équipe à se former. Elle a rapidement adhéré au système de communication mis en place via le site de bonnes pratiques en cancérologie du CHU de Besançon (Doubs). « Avec ce système, les confrères déclarés comme pharmacien référent par le patient reçoivent l’ordonnance du patient avant qu’il ne se présente à l’officine. Nous sommes prévenus par un SMS ou par un mail et nous accédons au site avec un code. L’ordonnance est toujours accompagnée de fiches techniques pour le pharmacien », décrit Laurence Prost-Dame. Cela lui donne le temps de préparer la venue du patient, de connaître les produits délivrés sur le bout des doigts et d’être plus rassurante face à des patients stressés. De plus, le site permet une communication sécurisée entre les praticiens hospitaliers et les professionnels de santé de ville, des échanges de questions-réponses, des informations sur des actes de pharmacovigilance, etc.
La titulaire note la très bonne dynamique existant en Franche-Comté sur le domaine de la cancérologie, notamment grâce au réseau Oncolie. En juin dernier, une soirée de formation animée par un cancérologue, un gynécologue, un pharmacien hospitalier et une officinale a permis de réunir 70 pharmaciens et préparateurs de ville. Néanmoins, Laurence Prost-Dame aimerait aller plus loin. Elle imagine par exemple qu’elle pourrait participer au dépistage du mélanome par le biais de la télémédecine.
Protocole d’accueil
Le lien ville-hôpital est l’axe défendu par le réseau Essononco depuis 2006, dont le but est d’organiser les soins en ville en assurant qualité de soins et de vie et facilité du retour à domicile. Le réseau propose des formations sur tout le département de l’Essonne pour les pharmaciens d’officine afin d’aborder les « différents aspects de la prise en charge de la chimiothérapie par des sujets transversaux comme la fatigue, la douleur, les effets secondaires des traitements oraux, la prise en charge psychologique, etc. », explique Moshé Itzhaki, directeur d’Essonco. L’association, qui repose sur l’engagement bénévole de professionnels de santé à la ville comme à l’hôpital, assiste autant les patients que les soignants et compte avant tout sur la coordination. Une trentaine d’officinaux adhère activement au réseau, dont Patrick Ohana, vice-président d’Essononco et titulaire à Epinay-sous-Sénart. En mars 2011, il lance l’idée de rédiger un protocole d’accueil des patients cancéreux à l’officine. « Je voulais qu’on ait une démarche qualité permettant de ne rien oublier et d’apporter une aide réelle aux patients. » Après un travail collaboratif à cinq pharmaciens, le protocole voit le jour en juin 2012, il est envoyé à tout officinal qui en fait la demande. Patrick Ohana en est le plus fidèle utilisateur, avec un succès qui ne se dément pas puisque des patients font le déplacement de Paris pour bénéficier de sa prise en charge. « L’accueil des patients – ou de leurs proches car certains patients ne peuvent plus se déplacer – est très bon. Je leur remets toujours une fiche concernant les effets indésirables liés à leur traitement qui leur permet de savoir ce qui peut arriver et comment réagir. Cela prend du temps, mais le patient bien pris en charge reviendra dans mon officine. » Certains confrères l’ont bien compris et utilisent aussi bien le protocole mis en place que les fiches à remettre, mais pas tous. « D'une manière générale, il faut encourager les pharmaciens à se diversifier pour apporter une solidité au socle de conseil, mais surtout pour promouvoir, auprès du grand public, la professionnalisation du secteur sur des thèmes riches et variés, que ce soit la cancérologie, la nutrition, l’orthopédie, etc. »
Afin d’assurer la coordination entre ville et hôpital, Essononco a mis en place un classeur de suivi, distribué par tous les centres hospitaliers de l’Essonne, qui récapitulent toutes les informations sur le patient, ses traitements, ses ordonnances, ses professionnels de santé, les mots à connaître, un calendrier de rendez-vous. Un dossier médical électronique est également créé avec l’accord du patient, alimenté par les établissements hospitaliers et par Essononco. « Cela me permet de téléphoner à Essononco pour savoir si je peux accéder au dossier de tel patient. Si c’est le cas, on me donne des identifiants pour me connecter et je peux vérifier les soins reçus, ce qui peut m’aider à mieux comprendre des effets indésirables et donc à mieux conseiller. »
Créer du lien
Sophie Sergent, titulaire à Liévin, était la référente URPS Pharmaciens au sein du Réseau régional de cancérologie du Nord-Pas-de-Calais, jusqu’à ce qu’elle laisse récemment sa place à un jeune pharmacien de Lille, qu’elle supplée. Elle n’en reste pas moins impliquée et a participé à la création d’une association de pharmaciens, Hospivia Artois, il y a un an et demi, qui travaille sur quatre thèmes par an, dont l’oncologie. Des soirées de formation sont organisées en présence de praticiens hospitaliers locaux, qui au-delà de l’enseignement lié à la pathologie, expriment leurs attentes lorsque leur patient sort de l’hôpital. « Ces soirées réunissent 50 à 80 pharmaciens, qui échangent directement avec le spécialiste, mettent en avant ce qu’ils peuvent apporter et ce qu’ils attendent de l’hôpital. Ces rencontres sont créatrices de lien ville-hôpital, le praticien fait connaissance avec des pharmaciens de ville, travaillant sur le même territoire, motivés et prêts à s’impliquer dans sa spécialité. »
Face au développement de la chimiothérapie ambulatoire, tous les acteurs ont le même but : une prise en charge globale de qualité pour les patients. « Pour les chimiothérapies reconstituées, excepté pour le fluoro-uracile (5-FU), le pharmacien d’officine a peu de marge de manœuvre. Mais il a toute sa place dans la chimiothérapie orale grâce à son savoir-faire, au dossier pharmaceutique (DP) à la coordination ville-hôpital et aux outils réglementaires », explique Sophie Sergent. Dans son officine, l’équipe est formée ou en cours de formation à la cancérologie et tous ses membres sont sensibilisés à l’utilisation des outils du réseau régional de cancérologie. « Nous passons du temps avec le patient, en particulier lors de la toute première délivrance. J’apprécie d’être contactée par l’hôpital en amont de la sortie d’un patient, je me prépare à sa venue, je commande le traitement. Il paraît tellement évident que cela devrait toujours se passer comme ça. La sortie d’un patient traité pour un cancer est programmée, il suffit que l’hôpital nous prévienne 24 heures à l’avance et nous sommes en mesure de répondre à l’ensemble des besoins médicaux : fournir le traitement, la nutrition, le lit médicalisé, organiser la coordination des soins avec l’infirmière, etc. »
Accompagnement
Un patient dont la prise en charge n’est pas optimale, mal informé sur son médicament et les effets indésirables possibles, sur la façon de les repérer et de réagir, peut faire des erreurs d’administration, voire arrêter son traitement. « C’est dommageable pour le patient qui n’est pas correctement soigné, pour l’assurance-maladie quand on sait qu’une boîte d’anticancéreux oraux vaut entre 300 et 3 000 euros, pour le laboratoire fabricant qui a une obligation de réussite de son médicament en vie réelle. Tout le monde est perdant, alors qu’un bon accompagnement peut tout changer. »
Outre les réseaux spécialisés en cancérologie, les partenaires de l’officine s’investissent aussi dans le domaine pour aider le pharmacien dans l’accompagnement de leurs patients. C’est le cas du grossiste-répartiteur Phoenix Pharma. Investi de longue date dans la lutte contre le cancer, il propose une nouvelle formation en e-learning depuis septembre dernier, sur la cancérologie, les nouveaux traitements et l’accompagnement du patient par le pharmacien. « Elle fait partie des formations validant le DPC », précise Maxime Smadja, chef de projet marketing. Par ailleurs, Phoenix met en avant son partenariat avec un prestataire de maintien à domicile (MAD), dont le but est de faciliter les démarches du pharmacien qui peut se faire livrer du petit matériel ou faire livrer directement au domicile du patient, avec installation du matériel par le prestataire. « Nous offrons la réactivité de la répartition, avec deux livraisons par jour, ce qui est appréciable en cas d’urgence à gérer pour un patient sous chimiothérapie, souligne Marine Charlery, responsable marketing produits. Tout passe par le pharmacien, c’est le relais auprès du patient. Depuis septembre, cette offre est nationale et ouverte à tous nos pharmaciens clients, quel que soit leur niveau d’adhésion. »
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