Après les médicaments pédiatriques et les nanoparticules dans les cosmétiques, l'association de défense des consommateurs UFC-Que-Choisir s’est trouvé une nouvelle cible : les pharmaciens d’officine.
L’enquête dont les résultats sont publiés dans l’édition d’avril du magazine « Que choisir », sous le titre « Conseils en officine : c’est souvent n’importe quoi », a été menée par 104 bénévoles de l’association, en novembre dernier. 772 pharmacies situées dans 16 agglomérations urbaines ont été visitées par ces testeurs « mystères ». Prétendant souffrir d’un rhume, ils réclamaient au comptoir de l’Actifed rhume jour et nuit ainsi que du Doliprane 1 000 mg. Voilà pour la méthodologie.
L’analyse des résultats se divise, quant à elle, en deux séquences. Tout d’abord, « Que choisir » passe au crible l’attitude des pharmaciens face à la demande associée d’Actifed et de Doliprane, deux produits contenant du paracétamol. « 86 % des professionnels nous ont spontanément mis en garde », note l’association pointant cependant du doigt les 14 % qui ne l’ont pas fait « alors même que c’est le b.a.-ba de leur métier ». Le magazine cite du reste le verdict d’Alain Delgutte, président de la section A du Conseil de l’Ordre des pharmaciens : « On ne peut que condamner cette absence de conseil. »
Si la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) qualifie cette absence de conseil d’« inacceptable », elle voit avant tout dans la mise en exergue de ces 14 % de pharmaciens, un procès d’intention. « Il est tout aussi inacceptable de jeter l’opprobre sur l’ensemble d’une profession qui, dans sa grande majorité, a fait preuve de professionnalisme », défend le syndicat.
Le piège de la routine
Deuxième étape de l’analyse de l’enquête : l'étude de la posologie indiquée par le pharmacien dispensant ces deux produits. Le magazine rappelle à ses lecteurs que la dose usuelle de paracétamol pour un adulte est au maximum de 3 grammes par 24 heures. « Dans certaines circonstances et sur avis d’un médecin, cette dose peut être augmentée à 4 g maximum par jour », ajoute-t-il. Faux ! s’exclame la FSPF, qui dénonce des approximations coupables de discréditer les résultats de l’enquête : « Une simple consultation du RCP auprès de l’Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM) aurait confirmé qu’en cas de douleurs maximales, la dose maximale peut être augmentée jusqu’à 4 g par jour, et surtout aurait permis d’éviter des conclusions imposant l’avis d’un médecin pour augmenter la posologie à 4 g par jour. »
Pour erronées qu'elles soient, ces données ont fourni à l’association la base de son classement des conseils des pharmaciens. Le palmarès se distingue comme suit : 46 % ont délivré le bon conseil, c’est-à-dire ont informé le faux patient qu’il ne fallait pas excéder une dose de 3 g par jour, voire de ne prendre qu’un seul des deux médicaments. 2 % de ces pharmacies ont même déconseillé d’acheter Actifed Rhume jour et nuit « en mettant en avant ses risques ».
Dans 30 % des officines visitées, le conseil est qualifié de « limite » par UFC-Que-Choisir : ces pharmaciens nous ont donné des indications menant à la prise de 4 g de paracétamol par jour. Une dose « qui ne doit être prise que sur avis médical et si les douleurs ou la fièvre sont plus importantes que pour un simple rhume », rappelle le magazine. Enfin, 24 % des pharmaciens se sont comportés de manière dangereuse, dénonce UFC-Que-Choisir. Ces professionnels n’ont fourni aucune indication et cette absence de conseil conduisait au cumul des deux produits et donc à une prise supérieure à 4 g de paracétamol par jour, voire à 5 ou 7 g ! Soit le pharmacien s’est abstenu de tout conseil, soit il a renvoyé à la posologie indiquée sur les boîtes, ce qui d’après le magazine, « ne peut mener qu’à un surdosage ».
Sans excuser cette dernière catégorie de confrères, Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil de l’Ordre des pharmaciens, interrogée par Europe 1, y voit une explication : « C’est dans l’exercice au quotidien que certains confrères – ce n’est pas la majorité des pharmaciens, je le rappelle – se laissent perdre par la routine et le temps… Et ils négligent le conseil sur des produits connus du grand public, ils omettent de rappeler la posologie ». En aucun cas, la formation des pharmaciens n’est à mettre en cause, défend-elle, « elle est de meilleure qualité aujourd’hui qu’auparavant (…) Et l’enquête d’UFC-Que Choisir le montre : 76 % des pharmaciens donnent les bons conseils. » L'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) retient pour sa part que 93 % des pharmaciens ont informé les patients sur les posologies maximales du paracétamol.
Droit de réponse
Davantage encore que l’interprétation de ces tests, ce sont les propositions formulées par l’association de consommateurs qui interpellent les pharmaciens à titre individuel (voir encadré), mais aussi syndicalistes et groupements. Car formulées dans la foulée de l'enquête, ces préconisations sont pour le moins paradoxales. Comment, venant de reprocher à la profession des lacunes dans ses conseils et en pointant la dangerosité du mésusage du paracétamol, les mêmes auteurs peuvent-ils suggérer que « la distribution des médicaments sans ordonnance soit élargie aux parapharmacies et à des espaces dédiés dans les grandes surfaces, sous la surveillance d’un pharmacien diplômé ».
Certes, UFC-Que-Choisir se fondant sur des hypothèses retenues à partir des exemples portugais et italien, estime à 252 millions les économies permises par de telles mesures sur l’OTC. Pour autant, ces projections ne sauraient à elles seules justifier la prise de risques engendrée par une telle mesure. D’ailleurs, objecte Philippe Gaertner, président de la FSPF, « plusieurs exemples contredisent les bienfaits de cette dérégulation du marché de l’OTC ». La Suède l’a rapidement compris après avoir libéralisé la vente de paracétamol. Elle a dû faire machine arrière après avoir constaté une hausse de 40 % en quatre ans des cas d’intoxication. De même, une récente étude menée par l’Autriche, pays menacé par une dérégulation du marché, a prouvé que cette dernière est sans bénéfice pour le consommateur.
L’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) ne manque pas de s'insurger, elle aussi, contre cette position de l’association UFC-Que-Choisir « à l’encontre de l’intérêt vital des consommateurs qu’elle est censée défendre ». Les groupements annoncent qu’ils demanderont le 6 avril prochain lors de leur entrevue avec le directeur du cabinet d’Agnès Buzyn, ministre de la santé, d’épargner des décès qui ne manqueraient pas de se produire « si les recommandations de UFC-Que-Choisir se mettaient en place ». Laurent Filoche, président de l’UDGPO, s'appuie sur une récente déclaration de la ministre de la santé à la profession. Devant les représentants des pharmaciens, Agnès Buzyn s'est elle-même félicitée, le 22 mars, « de sa décision de soumettre les sirops contenant de la codéine à une prescription obligatoire ». Car, souligne-t-elle, « plus un enfant n’est mort à cause d’un mésusage depuis 9 mois ». L’UDGPO fait savoir qu’elle demandera un droit de réponse au magazine « Que Choisir ».
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