Des soignants qui prennent la parole en s’adressant au grand public pour souligner la dangerosité des médecines non fondées sur les preuves, voilà qui est inédit. Le fait de pointer en particulier l’homéopathie est aussi relativement nouveau, même si le mouvement mettant en cause cette discipline prend de l’ampleur partout dans le monde. Les 124 signataires de la tribune parue en mars dernier dans « Le Figaro » souhaitent que les professionnels de santé « n'utilisent pas leur titre pour promouvoir des pratiques dont la science n'a jamais prouvé l'utilité, voire qui présentent une certaine dangerosité », des pratiques qui ne doivent plus, selon eux, être reconnues comme médicales, être enseignées et remboursées.
La réplique à cette tribune ne s’est pas fait attendre. Des homéopathes ont déposé à l’Ordre des médecins une série de plaintes à l'encontre des signataires. Le Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) a rapidement rappelé les signataires de la tribune aux limites de leur liberté d’expression sur les réseaux sociaux tout en demandant à l’Académie de médecine de s’exprimer sur le sujet et au gouvernement de saisir la Haute Autorité de santé (HAS) et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Le 18 mai, l’Académie de médecine répondait à l’Ordre que sa position est identique à celle exprimée en 2004 : l’homéopathie est une « méthode imaginée il y a deux siècles à partir d’a priori conceptuels dénués de fondement scientifique ». Mardi dernier, le CNOM s’est fendu d’une « mise au point » prudente, mais qui est aussi sa première prise de distance avec l’homéopathie. S’il ne la reconnaît pas comme une spécialité et considère qu’elle ne doit jamais être un traitement de première intention, il lui laisse une place en tant que traitement adjuvant ou complémentaire apprécié « en conscience » par le médecin qui doit « délivrer au patient une information loyale, claire et appropriée ». Lors d’une conférence de presse le même jour, le CNOM, estimant que « médecin homéopathe, ça n’existe pas », s’est dit favorable à la disparition de l’expression des plaques des praticiens. Mais la mention « homéopathie » sous la spécialité du médecin resterait autorisée. Par ailleurs, son président, le Dr Patrick Bouet, a dit attendre une évaluation « actualisée et impartiale » de l’homéopathie, dont l’Ordre tiendra compte, et espère que « l’université, les associations de formation et l’agence nationale du DPC le feront aussi ».
Médecins avant tout
Cette prise de position n’a pas été du goût de certains syndicats de médecins. Mercredi, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) dénonçait, d’une part, une « mise au pilori » de l’homéopathie et des médecins qui la pratiquent, et, d’autre part, un « manque de confraternité ». La CSMF ajoute que « les médecins qui pratiquent l’homéopathie sont avant tout des médecins qui ont dans leur arsenal thérapeutique les outils habituels et qui, en complément, peuvent proposer à leurs patients des traitements homéopathiques ». De son côté, le Syndicat des médecins libéraux (SML) assure qu’il sera aux côtés des médecins homéopathes. La réaction du Syndicat national des médecins homéopathes français (SNMHF) est arrivée, elle, jeudi. Il martèle que « ses membres ont répondu aux critères du CNOM pour devenir spécialistes en médecine générale ou en toute autre spécialité », ils sont titulaires du diplôme de docteur en médecine et justifient « d’un cursus d’enseignement d’homéopathie, reçu dans une faculté et/ou dans une école reconnue par l’Ordre des médecins ». Pour le SNMHF, « l’homéopathie enrichit la pratique médicale » et apporte une solution « en alternative ou en complémentarité des autres traitements médicaux auxquels elle ne s’oppose pas ». Enfin, il rappelle que « certains de ses membres sont ou ont été élus au sein de l’Ordre comme au sein des URPS Médecins Libéraux et des syndicats médicaux nationaux ».
Pas question d'interdire
Et du côté du gouvernement ? Interrogée à plusieurs reprises sur le sujet, la ministre de la Santé Agnès Buzyn s’est également montrée prudente en affirmant d’abord que l’homéopathie « ne fait pas de mal » et en évoquant un probable effet placebo, sans envisager un quelconque déremboursement tant que son utilisation est « bénéfique sans être nocive ». Un discours qui s'est transformé en quelques semaines en une volonté de faire évaluer scientifiquement les médicaments homéopathiques pour valider, ou non, leur efficacité, et aboutir au besoin à leur déremboursement. « Il ne sera jamais question d’interdire l'homéopathie (…) Ce sont les seuls médicaments en France qui sont remboursés par la Sécurité sociale sans avoir jamais fait l’objet d’une évaluation scientifique (…) Or ma doctrine est de dire que l’assurance-maladie, qui est notre bien commun, doit rembourser des produits qui ont fait la preuve de leur efficacité », précise la ministre. Des propos repris opportunément sur Twitter, par exemple sur la page « Homéoverdose », un collectif de patients qui veut « mener des actions pour la stricte séparation de la médecine et des fake médecines et pour le déremboursement de l'homéopathie par la Sécurité sociale ».
Et Boiron ? Ce n’est pas la première polémique à laquelle le leader mondial de l’homéopathie est confronté. Et c’est sur un ton quelque peu blasé que Christian Boiron répond aux journalistes : « Cela ne change pas un gramme des granules que nous pouvons vendre ou ne pas vendre » (voir notre article en page 3). D’autres que lui se montreraient plus inquiets face à des remises en cause qui dépassent largement les frontières de l'Hexagone.
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