Disponibilité en masques, risque de pénuries en médicaments, continuité des soins… Les questions ont afflué lors de la « Web conférence » organisée par le Conseil de l’Ordre des pharmaciens le soir du 11 mars. Le nombre des quelque 5 000 pharmaciens connectés témoigne des besoins de la profession en informations pratiques. Mais les pharmaciens ne se contentent pas de poser des questions. Par la voix de leurs représentants, Ordre et syndicats, ils sont également force de propositions auprès des pouvoirs publics pour émettre des solutions.
La première question qui se pose face à l’aggravation de la situation, concerne la capacité de notre système de santé, réseau officinal compris, à résister à l'extension de l’épidémie. Cette capacité concerne tant les outils matériels mis à disposition des soignants, que les réserves en moyens humains. « De toute évidence, le temps médical va devenir rare », prédit Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), faisant référence à un scénario qui orientera exclusivement les cas sévères vers le milieu hospitalier, et confiera les autres patients -de plus en plus nombreux - à la médecine de ville. Les pharmaciens devraient être ainsi appelés à prendre le relais en apportant des solutions de MAD à la sortie hospitalière (aérosols, oxygène, lits médicalisés), voire en cas d’hospitalisation à domicile (HAD).
Des scénarios région-dépendants
La situation va apporter un changement de paradigme. Comme l'annonce Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP), « les autorités vont chercher à rationaliser les soins. Par conséquent, ce seront les préfets et les ARS qui prendront la main sur les décisions de santé et les adapteront aux situations locales ». « Il en résulte, prévient Carine Wolf-Thal, que ces instances deviendront les premiers interlocuteurs des pharmaciens qui ne devront pas s'étonner des disparités entre les régions, concernant les directives qui leur seront données. » En tout état de cause, la présidente du CNOP tient à rassurer la profession. L'instance ordinale continuera de les informer et de les soutenir dans leur tâche.
Anticipant sur l’embolisation des cabinets médicaux qui ne manquera pas de survenir, le président de l’USPO a demandé aux pouvoirs publics d'autoriser les pharmaciens – à titre exceptionnel — à renouveler les traitements des patients chroniques au-delà d’un mois. À l'heure où nous écrivons ces lignes, aucune réponse n’a été fournie à ce jour par la direction générale de la Santé (DGS). Cet aménagement aurait pourtant pour autre avantage d’éviter la contamination de ces patients vulnérables dans les salles d'attente médicales.
Face à ce risque de contamination iatrogène, la pharmacie s’organise. « On peut ainsi conseiller aux patients, note Gilles Bonnefond, de téléphoner à leur pharmacien avant de venir chercher leur renouvellement de traitement, afin de limiter le temps d’attente et par conséquent les contacts. » Ou encore, comme le suggère Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), de recourir aux mails, fax et autres applis mobiles pour transmettre leurs prescriptions. De manière plus générale, « nous allons proposer au gouvernement une conduite à tenir pour la pharmacie, en fonction du stade de l’épidémie. À l’instar de ce qui a été publié sur le site de la direction générale de la Santé (DGS) pour les médecins », rappelle-t-il, émettant par ailleurs l’idée de respecter une distance d'un mètre entre deux files d'attente. Si toutefois la configuration de l’espace de vente le permet.
Retraités et étudiants à la rescousse ?
Leur propre sécurité sanitaire est l'autre préoccupation majeure des titulaires et de leurs collaborateurs, conscients de la nécessité de préserver l’officine, point nodal de la permanence des soins. La protection de l’équipe officinale est tout sauf secondaire dans ce contexte de tensions en personnels. Afin de parer à l’effondrement de certaines structures dont la totalité de l'équipe serait contaminée, les représentants de la profession ont imaginé plusieurs scénarios. « Nous réfléchissons actuellement à la possibilité de mutualiser les effectifs et d’échanger les collaborateurs entre officines, en fonction des besoins », expose Carine Wolf-Thal. Ou encore, autre piste poursuivie par l’Ordre et qui devrait être étudiée dans les prochains jours, le recours aux pharmaciens retraités et/ou aux étudiants en pharmacie. « Une sorte de "blabla-pharmacie" en quelque sorte », qui pourrait intervenir en cas de défection massive de l’équipe officinale, pour raison médicale ou familiale, résume la présidente du CNOP.
En revanche, il ne sera pas question pour les collaborateurs d’invoquer un droit de retrait. Jérôme Paresys-Barbier, président de la section D (adjoints) est formel : « Ce cas n’est pas envisagé par notre convention collective. Et surtout, le retrait est inapproprié dans cette situation. Tous les abus donneront lieu à des sanctions. Je demande à tous les adjoints de faire preuve de solidarité en cette période difficile que nous traversons. » La balance bénéfices risques continuera de prévaloir. Sauf à être déclarés malades, le titulaire et son équipe assureront la permanence des soins. « Le professionnel de santé est une denrée rare. Il reste à son poste s’il est asymptomatique », martèle Philippe Besset.
Le challenge qui doit être remporté dans les prochaines semaines réclame l’union de la profession. Face à certaines dérives qui ont pu être constatées dans le réseau, Pierre Beguérie, président de la section A (titulaires), exhorte ses confrères au civisme et au respect de la déontologie. Et Gilles Bonnefond de rappeler qu’en cette période compliquée, les pharmaciens ont un devoir de réussite « envers les patients, envers les pouvoirs publics et envers leur diplôme ».
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