Peut-on aujourd'hui mourir de maladie faute de soins, à 42 ans, sur le trottoir d'une église, au cœur d'une ville de 135 000 habitants ? C'est arrivé à un bénéficiaire du revenu de solidarité (RSA), à Amiens (Somme). Parce qu'il n'y a plus de médecin dans le quartier, s'indigne Gilles Tranchant, le pharmacien de ce quartier de Saint-Leu, au pied de la cathédrale, chef-d’œuvre du gothique flamboyant. C'est à Amiens, alors Samarobriva, qu'un soldat romain aurait coupé son manteau pour le donner à un pauvre : le futur Saint-Martin.
Le sort sanitaire de Saint-Leu reposerait sur l'interprétation de l'article 21 ou de l'article 30 d'une directive européenne concernant l'exercice de la médecine générale dans les pays de l'Union par des non-ressortissants. « Vide juridique », a botté en touche le Conseil de l'Ordre national des médecins. Il a ainsi empêché un médecin espagnol, Bernardi Sanchez, de visser sa plaque dans le quartier.
Depuis trois ans, Gilles Tranchant aura pourtant tout fait pour pallier le non-remplacement du médecin parti à la retraite. Ce quartier Saint-Leu a été repeuplé suite à une réhabilitation immobilière publique, dans les années 1980, par l'implantation des facultés de sciences et de droit, dans les années 1990, et par l'ensemble des autres facultés de l'université de Picardie Jules Verne (UPJV) en septembre et octobre prochains. Le quartier comptera alors environ quinze mille personnes. On y vient chez le pharmacien pour un point de suture, une fiche de sortie du CHU…
Déjà 70 000 euros d'investis
Gilles Tranchant avait anticipé le problème (voir « Le Quotidien » du 2 février 2017). Il a aménagé et mis aux normes, de ses propres mains, et avec l'aide gracieuse de gens du quartier, un local de 80 m2, dans un immeuble d'un bailleur social. Il a aussi investi 70 000 euros.
Aucune recherche de médecin n'a abouti. « Une dizaine de médecins français ont été intéressés, mais ils voulaient acheter les murs, ou craignaient de gagner trop d'argent et devoir payer des impôts, et n'acceptaient de rendez-vous que via internet. Mais c'est un quartier où il y a des urgences, un mode de médecine qui n'attirait pas les candidats. »
Porté par la presse, par les réseaux sociaux, le chant du pharmacien de Saint-Leu a été entendu en Espagne. Bernardi Sanchez est médecin généraliste depuis 1983, il a exercé en Espagne, en Grande-Bretagne, à nouveau en Espagne, et, à 56 ans, il viendrait bien s'établir à Amiens. Las, une directive européenne du 31 décembre 1994 permet d'exercer la médecine générale dans les pays de l'Union aux médecins qui l'exerçaient à cette date. L'Espagne est un pays membre de l'UE depuis 1986, la Grande Bretagne depuis 1973. Or le docteur Sanchez exerçait en 1994 en Grande Bretagne, mais comme psychiatre. D'où le refus d'inscription à l'Ordre départemental des médecins, après « l'évitement » du Conseil national.
Appel à Agnès Buzin
Le quartier Saint-Leu est classé prioritaire au titre de la politique de la ville, mais aucun élu amiénois ne s'est manifesté. Le quotidien local, le « Courrier Picard », a pourtant fait plusieurs « Unes » sur la question. La députée d'Amiens, Barbara Pompili (La République en marche), est une amie et voisine de Gilles Tranchant, mais elle est restée discrète. L'an passé, une avocate chef de cabinet du candidat et futur président de la République, future chef de cabinet de la ministre de la Santé, avait convié le pharmacien de Saint-Leu à un déjeuner avec le candidat entre les deux tours. Rien n'y a fait.
Gilles Tranchant va donc s'adresser, en dernier recours, à Agnès Butin, ministre de la Santé (ancienne présidente de la Haute Autorité de santé, dont le pharmacien est un des experts), pour contester la décision du Conseil de l'Ordre, et lui demander d'autoriser par arrêté ministériel le Dr Sanchez à exercer. Le départ à la retraite du médecin n'est pas significatif sur son chiffre, estime le confrère, mais le besoin sanitaire est bien réel. Il entrevoit d'ailleurs un agrandissement du cabinet médical pour d'autres professionnels.
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